Le changement climatique touche les forêts françaises, et particulièrement celles du Grand Est. Face à des épisodes de sécheresse qui entraînent de plus en plus de mortalité des arbres, l’État et les forestiers se mobilisent.
En cette fin d’année 2020, les programmes ambitieux liés à l’anticipation des scénarios climatiques du futur se dévoilent. La plupart d’entre eux font bondir dans leur siège nombre d’écologues et forestiers.
L’actualité, tournée presque entièrement vers le Coronavirus, occulte ce type de sujet qui touche pourtant à des enjeux primordiaux, tels nos paysages, notre cadre de vie, nos sols, la qualité écologique des forêts qui représentent un tiers de notre territoire, la faune et la flore.
Le milieu forestier semble opaque et ses enjeux réservés aux experts.
Chacun peut pourtant tout à fait comprendre ce qui se joue et comment, si on le lui explique de manière concise et claire.
C’est ce que nous tenterons de faire avec le thème choisi du présent article.
L’adaptation des forêts au changement climatique est un enjeu considérable, en termes tant économiques qu’écologiques.
De très nombreux rapports scientifiques comparent des modèles climatiques, reconnaissent les incertitudes qui y sont liées, avancent prudemment des recommandations diverses et variées permettant à la forêt, à la lumière de leurs démonstrations, de s’adapter et de résister à des changements incertains mais sévères.
Il existe différentes façons d’accompagner l’adaptation des forêts aux changements climatiques.
La première est celle que nous soutenons : considérer en premier lieu la résistance propre aux forêts naturelles, et tout faire pour qu’existent des peuplements aux essences et âges naturellement diversifiés.
Faire confiance à une sylviculture proche de la nature ?
Nous parlerons dans ce chapitre des forêts que nous connaissons : celles allant des Pyrénées atlantiques à l’Ariège.
Nous ne sommes pas assez connaisseurs des forêts méditerranéennes et des forêts du Grand Est pour les inclure dans les propos de cet article.
La hêtraie sapinière domine l’étage montagnard pyrénéen : des forêts naturelles, à ne pas comparer avec les forêts d’autres régions majoritairement plantées, notamment en résineux.
Le changement climatique n’a touché les peuplements de l’étage montagnard que de manière anecdotique. Les tâches de rougissement post-estival des houppiers de hêtres dans la matrice forestière ne remet en cause ni la survie de ces arbres, ni celle de la forêt.
La voie que nous défendons consiste à faire confiance aux écosystèmes forestiers « en station » et de croire en leur capacité à s’adapter de manière naturelle.
Elle consiste à les accompagner soit par l’évolution naturelle, « ne rien faire », soit par une sylviculture douce proche de la nature, de type Pro Silva.
Cela permet aux espèces de faune et de flore que nous connaissons de continuer à les habiter.
Cela ne crée pas de déséquilibres de type phénomène invasif, ou d’hybridation entre espèces nouvelles.
Pratiquer une gestion respectant la structure de la forêt, laissant un couvert forestier permanent avec de vieux arbres et du bois mort, c’est permettre la présence d’habitats et micro habitats essentiels à de très nombreux organismes, composant la biodiversité d’une forêt en bonne santé écologique ; c’est permettre la décomposition du bois, les échanges mycorhiziens dans le sol, la présence naturelle des prédateurs d’insectes et champignons ravageurs tant redoutés par les forestiers.
C’est permettre un stockage du carbone gratuit sur des centaines d’années, notamment dans les sols.
Laissons la parole à Thierry Gauquelin, spécialiste d’écologie fonctionnelle et professeur émérite à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie de l’université Aix-Marseille, dans cet article du Monde du 18 décembre 2020, très intéressant et dont une partie est consultable en ligne :
« Il est aussi extrêmement important, à terme, de fixer ce carbone dans le sol. Il y est stable et va pouvoir y rester des centaines d’années. Les vieilles forêts, avec des arbres morts, sont de très bons puits de carbone. C’est tout bénéfice, car le carbone qui reste dans le sol l’enrichit. »
Laisser volontairement des sites choisis en évolution naturelle est indispensable pour les espèces forestières liées aux stades âgés de la forêt.
Pratiquer une gestion respectueuse tout en préservant une trame hors sylviculture et en libre évolution, à travers par exemple des « îlots de sénescence », c’est également permettre la « redondance fonctionnelle », très précieuse au cas où certaines espèces viendraient à disparaître suite à des changements environnementaux.
La redondance fonctionnelle, présente dans les forêts où existe une diversité d’espèces naturellement maximale, donne la possibilité aux écosystèmes de maintenir leur niveau de fonctionnement en cas de changements, puisqu’elle laisse l’opportunité à certaines espèces présentes dans des niches écologiques, et adaptées aux nouvelles conditions du milieu, de palier la disparition d’autres espèces et de pérenniser ainsi l’efficience des processus écologiques (Lavorel, 2014; Yachi et Loreau, 1999).
L’état des connaissances en matière de changement climatique et de réponse de la biodiversité forestière est tellement lacunaire que nous ne savons pas si la voie que nous proposons est réaliste. Notre intuition est qu’elle pourrait l’être en complément d’autres approches prudentes visant à accompagner de la manière la plus respectueuse possible pour l’écosystème, la résilience et l’évolution des forêts.
Mais force est de constater, que les options choisies dans les programmes dévoilés en cette fin 2020, se traduisent par des paris qui font froid dans le dos.
Si la filière reconnaît toujours l’importance de la régénération naturelle, « l’accompagnement vers des formes plus résilientes » prend des allures de plantations de champs d’arbres bien peu compatibles avec la préservation de la biodiversité de nos forêts.
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Plantations et plan de relance
Les plantations monospécifiques sont à la forêt ce que sont les grands champs de maïs à l’agriculture.
Thierry Gauquelin, dans l’article du Monde cité plus haut, partage notre avis :
« Il y a une chose essentielle à dire, c’est qu’une plantation n’est pas une forêt, c’est un écosystème beaucoup plus simple, qui ne rend pas les mêmes services. La biodiversité, les processus écosystémiques sont beaucoup plus complexes dans la forêt : ce sont des milliards d’échanges de matière et d’énergie entre la faune, la flore et le sol. C’est une dynamique très complexe, avec des chaînes trophiques, des organismes qui se mangent les uns les autres. Alors qu’une plantation, c’est la même chose, en gros, qu’un champ de maïs. »
« Récolter » une plantation, c’est généralement couper la totalité des arbres, ce qui provoque un tassement du sol généralisé par les engins, une mise en lumière des espèces du sous-bois, l’ensoleillement direct et l’incapacité à filtrer les eaux de pluie qui ruissellent plutôt que de pénétrer le sol.
Thierry Gauquelin nous dit encore :
« Dans le cadre de plantations d’arbres, il ne faut pas trop perturber le sol, qui met des centaines, voire des milliers, d’années à se former. Si on détruit avant de planter, si on le perturbe trop, ça va être catastrophique. »
Puis, lorsque les arbres en ligne ont poussé, ils ne laissent pas de place à la lumière, la biodiversité est quasi nulle.
Lisons maintenant les propos de l’ingénieur forestier Sylvain Angerand dans cet article de Reporterre du 19 Décembre intitulé : « on va détruire des forêts pour planter des arbres! » :
« En forêt, on n’a pas à planter un arbre. Quand on plante, c’est qu’on s’est trompé. C’est exactement ce que le gouvernement est train de nous imposer : utiliser des images d’Épinal qui font plaisir aux médias français, « planter des arbres, c’est bon pour la planète ». Non ! Ce qui se joue aujourd’hui, c’est qu’on va détruire des forêts existantes pour planter des arbres. Le climat sert d’alibi. »
Le plan de relance permet en quelque sorte l’opportunité pour de nombreux écologues de faire la lumière sur des idées reçues. Mais face aux lobbies et intérêts économiques, seront-ils entendus?
La logique qui s’en suit, est que la très grande majorité des dépérissements actuels concerne des plantations.
Un exemple de dépérissement se situe en forêt landaise, où le stress hydrique lié aux sécheresses est violent, accentué par le fait que tous les arbres, de même âge et de même diamètre, puisent l’eau du sol à la même profondeur.
Les scolytes, dont la reproduction est déjà favorisée par la douceur hivernale, se développent massivement. En surnombre, leurs prédateurs absents ou presque, ils provoquent des ravages en attaquant les arbres en fragilité mais aussi des arbres sains.
Les plantations d’épicéas, quant à elles, n’ont pas attendu 2020 pour dépérir dans les Pyrénées.
De nombreuses plantations du milieu du XXème siècle ont été un échec pour différentes raisons, le plus souvent car ils ont été plantés de manière monospécifique, dans des zones altitudinales trop basses, avec une exposition ou une fertilité de sol non adaptées.
Les sécheresses provoquent dans ces peuplements des dépérissements spectaculaires.
Citons à nouveau Thierry Gauquelin dans le même article du Monde :
« On parle beaucoup dans les Vosges des épicéas qui dépérissent à cause des scolytes. Si on avait des peuplements avec différentes espèces, les choses se seraient peut-être mieux passées. Au Portugal, à partir des années 1970, des milliers d’hectares d’eucalyptus ont remplacé les chênes-lièges, avec pour conséquence des incendies meurtriers, car l’eucalyptus est une espèce très inflammable. »
Quant à Sylvain Angerand dans l’article de Reporterre cité plus haut, il nous dit :
« Il y a des forêts qui sont dépérissantes, notamment dans l’Est de la France avec les scolytes et on peut se dire qu’il n’y a pas d’alternative à la plantation, mais il faut se donner le temps d’observer. On a vu des forêts scolytées qui ont de la résilience et deviennent très intéressantes. Non seulement, on ne nous laisse pas le temps de réfléchir, mais on se presse pour raser et replanter. »
Parlons maintenant d’une tromperie généralisée qui pousse les citoyens à vouloir « planter un arbre ».
Elle est parfaitement résumée dans cet extrait du rapport « laisser vieillir les arbres : une stratégie efficace pour le climat » page 10 :
« Au prétexte de mieux adapter la forêt aux changements climatiques, des peuplements naturels sont rasés pour faire place à des plantations monospécifiques.
Pour beaucoup de citoyens, planter un arbre est associé à un acte indispensable de bonne gestion forestière : une idée fausse entretenue par les acteurs de la filière forêt-bois aux pratiques plus que contestables. »
Aujourd’hui, la filière bois n’a qu’un mot à la bouche : il faut planter, reboiser.
Même si le sapin de Douglas, essence exogène provenant de l’ouest des Etats Unis, ne sera jamais concurrentiel face aux importations scandinaves, et que l’économie de la plantation vit sous perfusion des subventions de l’État.
Même si certaines forêts naturelles jugées dépérissantes sont transformées en champs d’arbres, alors que leur qualité de bois pourrait être tout à fait améliorée et même rentable à terme grâce à une sylviculture adéquate.
Cette tendance est dénoncée par des documentaires comme le Temps des forêts.
Selon nos observations, sur lesquelles bien sûr, nous sommes ouverts au débat, le Douglas n’a pas besoin d’être planté en monoculture, car il s’adapte très bien dans les forêts de feuillus de plaine où il pousse lentement, ce qui permet aux autres semis de le dominer (contrairement à la montagne où il colonise beaucoup plus facilement et est donc invasif s’il est planté dans une population d’essences autochtones).
Dans les Commissions de type Commission Régionale de la Forêt et du Bois (CRFB), la réflexion d’encourager la plantation de Douglas dans des forêts autochtones diversifiées en essences et conservant par là même leurs fonctionnalités (biodiversité, « services rendus ») n’est pas abordée, et si elle l’est, elle est rapidement occultée.
En Occitanie, la surface concernée par les plantations, environ 50000 ha, est minime par rapport aux 1.35 millions d’hectares de forêt de la région où de nombreuses sylvicultures sont à l’œuvre.
C’est pourtant vers les plantations que se concentre l’effort financier du « plan de relance », (cliquer ici pour consulter l’Appel à Manifestation d’Intérêt), qui fait scandale dans la profession et notamment, chez les gestionnaires forestiers indépendants qui ne verront pas la part du gâteau.
L’actuel ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, annonce « le plus grand investissement forestier depuis l’après-guerre ».
Deux cent millions d’euros devraient financer des mesures sur les années 2021-2022, dont 75% pour les propriétaires forestiers souhaitant « renouveler » des forêts dites dépérissantes, vulnérables ou pauvres, 14% pour la production de graines et plants, enfin 11% sur la couverture cartographique Lidar des forêts métropolitaines (télédétection laser).
La communication autour de ce plan de relance se veut verte et plus que verte. Pourtant, il est à destination des grosses structures et des coopératives.
Une seule phrase extraite du volet forêt du plan de relance permet de tout comprendre :
« Le montant cumulé des investissements en travaux financés par les propriétaires forestiers dans le cadre du projet présenté au titre de l’AMI, et non engagés avant le dépôt des demandes d’aides, ne peut être inférieur à 1 million d’euros (M€) ou porter sur une surface forestière « travaillée » de moins de 300 hectares. »
Il est à noter que les « forêts communales de France » peuvent déposer un dossier global, avec un appel à projets des communes éligibles à partir de 3000 euros.
Mais les gestionnaires indépendants, réunis en association où personne ne voudra prendre la responsabilité des dossiers des autres (et pour cause, ce sont des travailleurs indépendants souvent en concurrence !) sont les grands oubliés de ce Plan, tout comme les artisans (scieurs mobiles, entrepreneurs indépendants, débardeurs à cheval, etc).
Ce plan se fait donc au détriment du tissu local des « petits » et à l’exact opposé de la sylviculture à faible impact environnemental.
Les efforts financiers actuels en France, sont également dirigés vers des essais d’implantations d’essences nouvelles. Ci-dessous, un exemple phare, autre actualité totalement méconnue du grand public.
Sapins méditerranéens
Voici une toute nouvelle atteinte majeure à la biodiversité, autorisée par l’instruction technique du 27 Octobre 2020 du Ministère de la forêt et nouvellement éligible aux subventions publiques en Occitanie pour des plantations en forêts publiques et privées.
Même s’il donne lieu à des débats d’experts, le problème est très simple à comprendre :
la plantation de nouvelles essences de sapins provenant du bassin méditerranéen, en l’occurrence le sapin de Cephalonie (grec) et le sapin de Bornmuller (turc) vient d’être autorisée, alors que ces espèces s’hybrident avec le sapin pectiné, essence autochtone aux caractéristiques génétiques particulières et uniques provenant aujourd’hui de deux refuges post-glaciaires, Est et ouest pyrénéen.
Cette hybridation entre espèces ne pourra en fait avoir lieu que lorsque les sapins méditerranéens seront capables de se reproduire, dans quelques décennies.
Personne ne connaît actuellement la résistance de ces nouveaux arbres aux pathogènes, au stress hydrique, l’adaptation des cortèges d’espèces flore et faune associés, l’exposition aux aléas climatiques dont les gélivures … et justement, alors que des expérimentations et programmes de recherche sont en cours, ces essences viennent d’être autorisées par la DRAAF à grande échelle.
« A partir des connaissances actuelles, à la fois le risque écologique et le risque économique peuvent être plus grands que celui d’utiliser des essences locales dans le contexte Occitan. » (extrait du courrier du Conservatoire d’Espaces Naturels d’Occitanie, ou CEN Occitanie, à l’attention de l’ensemble des membres de la Commission Régionale de la Forêt et du Bois d’Occitanie, 17/11/2020).
L’autorisation de planter ces essences a été votée à la CRFB d’Occitanie le 23 Novembre 2020.
De par une première opposition de France Nature Environnement Midi Pyrénées (FNE Midi Pyrénées) en 2018 mettant en avant les risques d’hybridation de ces essences, la DRAAF Occitanie a alors décidé de reporter le vote à 2020, et de ne les subventionner que sous la barre des 800 mètres d’altitude, donc de proscrire l’éligibilité des aides pour des plantations à l’étage montagnard.
Elle a émis également la condition de les planter à plus de 500 mètres de sapinières référencées dans la cartographie BD carto (qui n’en recense que quelques unes en zone de piémont).
Or, le sapin est présent dans toutes les zones de piémont des Pyrénées centrales, et notamment dans des dizaines de « vieilles forêts de plaine » inventoriées dans un programme officiel et reconnues comme « forêts à enjeu écologique fort » par la même CRFB ! Ces forêts n’apparaissent pas sur BD carto.
De plus, personne ne peut affirmer que les graines et pollens des sapins méditerranéens ne pourront pas se déposer au-delà de la zone des 500 mètres.
L’aérologie des montagnes et de leur piémont est bien différente de conditions climatiques classiques de journée de vent moyen, ou de tests en laboratoire, avec des accélérations/canalisation de vent dues au relief, et des tempêtes de vents du sud allant jusqu’à 150 kms/h, notamment automnales et hivernales.
Ces événements climatiques ne laissent que peu de doute sur la possibilité de transporter massivement des pollens et des graines au-delà de plusieurs kilomètres, que ce soit vers la montagne, le piémont ou la plaine, dans d’autres zones de « poches » recevant régulièrement les dites graines.
Un non sens.
Le 23 Novembre 2020, FNE Midi Pyrénées et le CEN Occitanie ont été les seuls à voter contre cette introduction.
FNE Midi Pyrénées, représentée par les salariés de l’Observatoire des forêts des Pyrénées centrales, a envoyé aux membres de la Commission quelques jours avant la réunion un courriel très explicatif sur ces risques, en faisant copie d’un courrier envoyé début octobre à la DRAAF Occitanie, avertissant du danger que représenteraient ces futures plantations, notamment pour les vieilles forêts de plaine et de piémont ; mais aussi les échanges avec la CRGF (comité scientifique sur lequel se base le Ministère de la Forêt) qui reconnaît plusieurs incertitudes, et en mentionnant un courrier envoyé à Carole Bastianelli (chargée de mission sur la génétique forestière et adjointe à la gestion durable forêt-bois au Ministère de la forêt).
Le CEN Occitanie a lui aussi envoyé un courriel argumenté aux membres de la Commission quelques jours avant la réunion (voir l’extrait ci-dessus).
Lors de ce vote, existait donc une certaine connaissance du problème de la part des membres, et une grande absente : la multifonctionnalité, alors qu’autant le Ministère de la forêt que les acteurs en présence affichent une volonté de gestion dite durable.
La filière bois dit ne pas comprendre l’opposition citoyenne et la mauvaise presse qui lui est faite par rapport à certaines de ses pratiques.
N’est-ce pas pourtant à elle de se remettre en question face à de telles décisions ?
Le numéro de décembre de Forêts de France a publié une double page sur les mérites du sapin de Bornmuller. Aucun mot sur l’hybridation.
Pour comprendre les enjeux de la « migration assistée » avec l’exemple des sapins méditerranéens, et connaître d’autres voies possibles, lire ou relire l’article de Michel Bartoli sur ce sujet.
Îlots d’avenir en forêts publiques
Afin d’anticiper le changement climatique, l’îlot d’avenir est l’une des toutes nouvelles stratégies prévues par l’Office National des Forêts pour expérimenter des essences exogènes dans les forêts publiques.
« Tester des espèces et des provenances potentiellement plus résistantes pour connaître celles qui sauront se développer sous les climats plus chauds et plus secs de demain. »
Sur des superficies de 0.5 à 5 hectares, L’ONF prévoit de « remplacer en partie des peuplements avec des essences alternatives mieux adaptées aux climats futurs » avec, sur le long terme, 3 % des surfaces en sylviculture des forêts domaniales en îlot d’avenir. Ce qui n’est pas rien. Point besoin pour cela de modifier l’aménagement forestier.
Si certaines essences paraissent sensées, comme le chêne sessile ou le pin de Salzmann, il y a, en regardant la vaste liste, de quoi bondir.
Les sapins méditerranéens sont parmi les essences sélectionnées, le sapin de Bornmuller étant encouragé à la plantation.
Le févier d’Amérique, autorisé, est pourtant reconnu pour son pouvoir envahissant.
Trois espèces d’eucalyptus, réputés assécher les sols et proscrits un temps du piémont pyrénéen où un gros acteur économique souhaitait les implanter, sont autorisés.
Le frêne de Mandchourie, supposément celui là même qui a amené la chalarose du frêne en France, est autorisé.
Tout comme plusieurs espèces de cyprès dont le Cupressus arizonica, cyprès au pollen allergène qui, planté en monoculture, représente un danger potentiel pour certains humains !
Quelles sont les autres essences autorisées pouvant s’hybrider, ou envahir des populations autochtones ? Nos connaissances s’arrêtent là.
Le chêne de Turquie, le chêne vert des canyons, le faux sapin de Chine, le platane d’Orient, etc … sont-ils vraiment des essences providentielles ? Mettent-ils en danger nos forêts ?
Une liste qu’il nous parait indispensable de revoir à la lumière des simples observations ci-dessus, pour laquelle il nous semble également nécessaire que la direction nationale de l’ONF soit bien au clair avec les autres acteurs représentatifs des territoires (Parcs naturels Régionaux, opérateurs Natura 2000, Régions, départements, élus, COFOR, Parcs ationaux, associations concernées, etc).
Un encadrement strict et conditionnel nous semblerait également indispensable, afin d’éviter tout dérapage pouvant fragiliser nos forêts aux essences autochtones …
Avis aux lecteurs directement concernés !
NB : Cet article est destiné à évoluer selon les apports extérieurs et l’actualité.
Juste une remarque. Affirmer qu’une plantation n’est pas une forêt est certes juste, mais ne serait il pas honnête de reconnaître qu’elle peut le devenir? En effet, nombre de propriétaires n’ont de cesse, toute leur vie durant, de transformer en forêt la plantation dont ils ont hérité ou qu’ils ont installé. Et nombre de forêts qui peuvent être admirées aujourd’hui ont été constituées artificiellement. Si, à cause du traitement régulier et des courtes révolutions certaines plantations repassent directement de l’état de peuplement à celui de terrain nu avant de redevenir plantation, d’autres, traitées en irréguliers atteignent les stades matures.
Bonjour,
Merci de votre commentaire. Enrichir une plantation avec d’autres essences est louable et oui, à terme (on parle à l’échelle du temps forestier, donc un siècle minimum nous sommes bien d’accord ?) on peut revenir, avec beaucoup de patience et de travail, à de la futaie irrégulière. Qui, si elle est laissée en libre évolution, ou très peu exploitée avec un souci de conserver des attributs de maturité, peut à terme, atteindre un stade mature. L’article parle ici des plantations en monoculture. Celles-ci sont menées à grande échelle aujourd’hui en France : des semis plantés en ligne, qui vont grandir et être récoltés à terme (60-80 ans), pour laisser la place à une nouvelle plantation.
Une plantation pure est ce qu’est un champ de maïs est à l’agriculture, je ne vois pas personnellement de différence. Le champ de maïs peut être modifié, abordé en polyculture et enrichi par d’autres plantes ou céréales, mais avant cela, c’est dans un champ de maïs traité de manière intensive.
D’autre part, j’attire votre attention sur la tendance actuelle, comme écrit dans l’article : « Dans les Commissions de type Commission Régionale de la Forêt et du Bois (CRFB), la réflexion d’encourager la plantation de Douglas dans des forêts autochtones diversifiées en essences et conservant par là même leurs fonctionnalités (biodiversité, « services rendus ») n’est pas abordée, et si elle l’est, elle est rapidement occultée. »
Bonjour,
Même une monoculture initiale (et à fortiori pour une plantation mélangée) peut être menée de façon à permettre l’installation naturelle d’espèces d’arbustes, d’arbres (etc) variées. Il suffit de ne pas matraquer la végétation déjà en place avant la végétation puis de pratiquer des interventions sylvicoles (si besoin) préservant et favorisant l’expression de la diversité. Alors oui une vieille forêt ne sera pas constituée en quelques années ni-même décennies (…) mais un peuplement forestier sera installé et pourra apporter les bienfaits attendus sur le long terme. (et même dès le court terme) C’est ce que l’on constate dans certaines des plantations que vous évoquez (« De nombreuses plantations du milieu du XXème siècle… ») lorsque celles ci ont connu, pour de multiples raisons, une évolution adaptée à l’installation de la diversité.
Par ailleurs en cela le débat futaie irrégulière /futaie régulière n’a pas lieu d’être, les deux traitements étant adaptés à l’expression de la bio-diversité, dès lors que la gestion est appropriée
Bien à vous
La question est donc bien plus le « pour quoi faire », question de l’objectif, que celle du coup de com sur « planter des arbres ». Il y a plusieurs manières d’installer des arbres, de constituer une « forêt » et de favoriser sa multifonctionnalité. Le débat, la réflexion me semblent être sur ce dernier point. Mais celui-ci nécessite de se frotter à la complexité,… et celle-ci n’a pas la côte et est mal armée face à la communication politique de l’instant…
Bien à vous
sg
Merci pour votre commentaire. Tout à fait, une plantation initiale peut être enrichie jusqu’à accueillir une riche biodiversité. Les sylvicultures allant dans ce sens sont à encourager ! Malheureusement, ce type de résultat nécessite le plus souvent un travail d’anticipation et de suivi sur un pas de temps long, qui peut dissuader le propriétaire. Et puis l’exploitation mécanisée fonctionne mieux sur des arbres d’alignement, le sous étage gène… d’où la généralisation de ce type de pratiques « en ligne ».
Quant à ce qu’une plantation conduite avec ce type d’interventions puisse devenir une vieille forêt, ce peut être un débat. Se pose notamment la question suivante : peut-on considérer que des essences exogènes peuvent constituer une vieille forêt ? dans le sens où ces essences (Douglas, ou chêne rouge d’Amérique, par exemple), constituent à terme (au stade terminal) le très gros bois vivant et mort constituant la maturité forestière. Je ne pense pas que les cortèges de flore et de faune associés aux forêts naturelles locales y soient présents, de très nombreuses espèces ne reconnaissant pas les essences citées de provenance américaine, pour ne citer que cet exemple (notamment celles liées au bois mort, les décomposeurs).
D’autre part, certaines essences plantées peuvent coloniser les peuplements alentour, eux naturels, être la source de pollens hybridogènes (sapins méditerranéens) ou de parasites (frêne de Mandchourie). Les conséquences peuvent être très grandes.
Je ne pense pas que le débat futaie régulière/irrégulière n’a pas sa place. Les deux permettent l’expression d’une certaine biodiversité, mais pas la même. La futaie irrégulière me semble à priori plus propice à l’installation d’espèces liées aux stades âgés de la forêt et à l’intégrité de cortèges de flore et de fonge, en raison de la présence continue d’espèces sciaphiles. Mais je ne suis pas un spécialiste.
La question est donc bien plus le « pour quoi faire », question de l’objectif, que celle du coup de com sur « planter des arbres ». Il y a plusieurs manières d’installer des arbres, de constituer une « forêt » et de favoriser sa multifonctionnalité. Le débat, la réflexion me semblent être sur ce dernier point. Mais celui-ci nécessite de se frotter à la complexité,… et celle-ci n’a pas la côte et est mal armée face à la communication politique de l’instant…
Bien à vous,
sg
Bonjour,
Effectivement, il y a de nombreuses manières d’installer des arbres et autant de sols, de contextes (à la place d’une friche? d’une ancienne terre agricole ? par bouquets dans une forêt existante ? ),et je suis bien d’accord avec vous : dans quel but, et par là même, comment ? FNE Midi Pyrénées siège à la CRFB Occitanie, j’en suis le représentant. Nous sommes l’un des (très) rares organismes à chercher à insérer la multifonctionnalité dans les débats. Renouveler la forêt française est au centre des discussions : des résineux en monoculture, sans essences d’accompagnement, peu importe s’ils s’hybrident ou sont invasifs, une forêt rentable grâce à des méthodes intensives et une mécanisation lourde. Cela n’y semble déranger (presque) personne ! La communication politique du plan de relance ne fait que donner plus de moyens à un chemin déja large. Heureusement, existent des myriades d’autres exemples et initiatives, malheureusement bien moins soutenues par l’Etat.
Bonjour,
Tout d’abord, dans le cadre strict du sujet et pour garder espoir, il faut savoir qu’une région en France a en 2011 pris des dispositions allant jusqu’à « interdire en forêt et en ornementation » l’introduction d’essences susceptibles d’introgression et d’hybridation avec les essences autochtones.
Autrement M. Gipouloux ouvre bien en fait le débat sur la véritable problématique actuelle qui à mon sens pourrait aussi se formuler ainsi : l’objectif de production de bois est le seul objectif DOMINANT qui préside à toutes les « politiques ». Comme évoqué dans le sujet, il n’y a plus de « sylviculture » à proprement parlé mais bien une arboriculture qui s’est mise en place depuis les années 1950 et qui a irréfutablement conduit à ceux que 90% des prétendues forêts de France ne soient en fait plus que l’équivalent des champs de maïs (plantation), pâturages (forêt en sylviculture dynamique), et au mieux friches (peuplements au repos…). Cet état de fait est tel que même les naturalistes s’autocensurent sur la réalité de l’altération du fonctionnement des écosystèmes forestiers. Ainsi, il y aurait une certaine urgence (c’est une expression rigolote quand on parle de forêt et de temps forestier) à sans doute repositionner le débat sur les objectifs et convenir qu’il est temps de revenir sur le mythe de la forêt en France et de refaire un code forestier séparant les Bois des Forêts, les uns dédiés à l’arboriculture intensive, et les autres à la fois à la préservation intégrale mais aussi à une sylviculture limitant au maximum les impacts. Corrélativement on peut observer que la « multifonctionnalité » est vraiment en train de devenir l’écran de fumée et un excellent « coup de com » pour masquer ou tenter de justifier envers et contre tout qu’il existe encore des forêts en France et qu’il ne faut surtout pas identifier l’arboriculture comme action DOMINANTE ayant façonnée et transformé les forêts de France.
Pour terminer, les termes du débat en 2021 entre les traitements réguliers et jardinés (irréguliers) mériteraient sans tarder d’être repositionnés. Ce ne sont que des traitements et ce sont bien les objectifs que l’on fixe qui détermineront si on se limite à récolter le fructus d’une forêt, ou si on exploite un champ d’arbres. J’attire vraiment l’attention sur le fait que le traitement jardiné peut tout autant être destructeur que le traitement régulier sous sa forma actuelle. J’irai même jusqu’à dire qu’il peut l’être encore plus, dans des mains mal intentionnées. A contrario, les deux traitements pourraient permettre une sylviculture (cueillette) très respectueuse du fonctionnement des écosystèmes forestiers. A titre de réflexion, ne suffirait-il pas de fixer un âge limite d’exploitabilité correspondant aux 3/4 de l’espérance de vie des essences objectifs pour que le traitement régulier redevienne une sylviculture et non de l’arboriculture… ?
Cordialement
Bonjour,
Merci pour ces intéressants commentaires. Quelle est donc la région qui a interdit les essences s’hybridant, et quel est son pouvoir de l’interdire, les forêts privés appartenant à leurs propriétaires ? La DRAAF les suit-t’elle ?
Certes, des prélèvements forts ou incohérents en futaie jardinée peuvent être désastreux. Mais je ne partage pas la vision écrite sur la futaie régulière, qui régularise un milieu naturellement irrégularisé. C’est un grand débat chez les forestiers, pour ma part, j’aime, d’abord, la nature et ce traitement sylvicole en est trop éloigné à mon sens.
Je partage la distinction à faire entre forêts et plantations, mais pas le fait de classer « bois » des plantations monoculturales dans le code forestier, où des limites seraient plutôt à mettre sur les autorisations de coupe rase suivies de plantations non mélangées. Que faire avec les plantations existantes ? Certes, ce ne sont pas des forêts … mais il faudrait surtout qu’elles évoluent (je peux paraitre utopiste, les coopératives en action ont beaucoup de poids, mais …). Seule une sylviculture à faible impact environnemental, et « tendant vers » cela est pour moi écologiquement et socialement acceptable. Le hic est certes le volet économique, et en même temps, celui-ci est complètement dirigé par un système de subventions publiques aux plantations qui ne laisse que peu de chances aux méthodes de sylviculture respectant les écosystèmes. L’arboriculture intensive étant sous perfusion des subventions, je pense qu’un débat incluant les représentants des 3 volets de la multifonctionnalité (écologique, social et sociétal, économique) est nécessaire (et où l’écologie arrête de s’adapter), tout comme un remaniement total des lignes de projet où se déverse l’argent public serait salutaire à des modes de sylviculture plus éthiques dans les forêts exploitées.
Bonjour Phil69Cor62@47,
La liste des essences autorisées ou interdites se trouvent en p. 112 des annexes au Schéma Régional d’Aménagement des forêts corses et le Schéma Régional de Gestion Sylvicole de Corse préconise une liste très restreinte d’espèces, sans toutefois avoir choisi d’en interdire. Ce sont tous les deux des documents de cadrage réglementaire. En matière forestière le pouvoir d’un propriétaire reste soumis à la réglementation qui limite (en théorie) l’abusus. Ce pouvoir du propriétaire est ensuite limité tout aussi efficacement par les critères d’attribution des aides. Ainsi si une région décide de ne pas octroyer d’aides pour certaines essences il y a lieu de parier qu’il n’y aura pas beaucoup de plantations avec ces essences. Le mieux restant tout de même qu’un document réglementaire les interdise.
Pour le traitement en futaie régulière tel qu’il est pratiqué depuis 100 ans, mais avec des modalités (intensification des éclaircies sous couvert de dynamisme et aujourd’hui de lutte contre la sécheresse, lol) et des critères (Ø d’exploitabilité en baisse constante) de plus en plus impactants depuis 50 ans, il est vrai que l’on peut avoir du mal à y trouver un quelconque intérêt. Ceci dit, repenser les âges d’exploitabilité et appliquer des modalités moins intensives peut laisser penser qu’on pourrait obtenir dans très longtemps des surfaces importantes de structures régularisées « très gros bois » qui manquent cruellement aujourd’hui, pas pour leur beauté mais certainement pour tout un pan de la biodiversité.
En se plaçant dans l’hypothèse ou il est fait honnêtement, avec des objectifs affichés de préservation de la biodiversité et avec des personnes qualifiées (gestionnaire, sylviculteur, exploitant) le traitement jardiné est extrêmement performant. Il peut même en fonction des opportunités permettre d’obtenir quelques plages homogènes d’un point de vue de la structure spatiale. De façon générale, il maintient une structure et une composition très favorable au fonctionnement de l’écosystème forestier. Mais l’irrégularisation fréquente perceptible au 1/4 d’ha et souvent moins, et parfois la nécessité de limiter la surface terrière afin de favoriser la production de bois restent des impacts non négligeables. Ceci dit pour rester ancré dans le réel, il n’y a pas photo aujourd’hui entre les impacts produits par les 2 traitements.
Pour la distinction entre « bois » et « forêt » je pense rejoindre votre analyse sur la perfusion et tout le reste. C’est en ce sens qu’une solution serait de poser clairement les termes du débat et de distinguer juridiquement les espaces qui seront de la Forêt, avec des contraintes sérieuses, des espaces de production industrielles de bois, qui à l’heure actuelle bénéficient de tout plein de subventions et d’exonérations sous couvert d’un prétendu intérêt général alors même que comme vous le relevez les gestions plus respectueuses ne bénéficient pas de grand chose. Pour ma part, il n’y a aucune opposition entre Bois et Forêts, bien au contraire, une complémentarité. Cette proposition de distinction devient toutefois urgente car à nouveau dans les faits force est de constater que 80% des « forêts » de France n’a pas plus de 100 ans et qu’il faut en finir avec le mythe de la Forêt qui est en train de devenir une mystification. tout cela reste très ouvert bien entendu et à construire.