Forestiers, stations de ski, centrales hydroélectriques, élus, scieries, chasseurs, bergers, pêcheurs, naturalistes, ainsi que d’autres usagers de la montagne divers et variés, sont directement concernés par la protection du patrimoine forestier à caractère naturel.
Dans les Pyrénées, la concertation des acteurs existe, concernant les grandes orientations touchant au Parc National des Pyrénées, aux Parcs Naturels Régionaux (1), à l’élaboration des corridors écologiques de la Trame Verte et Bleue, à l’élaboration des SCOT, aux espèces emblématiques, entre autres. Chacun y exprime ses intérêts, afin qu’ils soient pris en compte dans la gestion du milieu naturel.
Dans le domaine forestier, dans les Pyrénées centrales, l’Observatoire des forêts des Pyrénées Centrales est animé par des chargés de missions recensant également les vieilles forêts de montagne et de plaine en partenariat avec le GEVFP.
Il a des missions d’accompagnement, de sensibilisation, d’inventaires de vieilles forêts. En partenariat avec d’autres acteurs, il contribue dans leurs objectifs à la prise en compte de la biologie dans la gestion multifonctionnelle de la forêt.
Avec le concours du Conservatoire d’Espaces Naturels, du Conservatoire botanique des Pyrénées, de l’école d’ingénieurs de Purpan, de FNE Midi Pyrénées et d’autres, existe une dynamique pour la prise en compte des vieilles forêts dans l’ex région Midi Pyrénées.
Clairement, il manque une synergie collective et associative en Nouvelle Aquitaine et dans l’ancienne région Languedoc Roussillon permettant une représentation efficace dans les commissions et réunions, et la reconnaissance des forêts à fort enjeu écologique des Pyrénées.
Le manque d’intérêt envers l’habitat forestier ancien par le public naturaliste, habitué à des entrées par espèce (dont l’utilité n’est pas contestée), est flagrant. Ce manque se constate également dans les actions de veille écologique, pourtant nombreuses, qui pourraient être menées sur le terrain.
Partout dans le massif, se jouent des batailles juridiques souvent inégales entre défenseurs de la nature et aménageurs.
De nombreuses stations de ski sont en procès, l’ont été ou mériteraient de l’être en raison de dégradations majeures projetées ou constatées sur des milieux naturels sensibles, n’en déplaise à certains.
Certaines micro centrales hydroélectriques (sans bien sûr, pointer du doigt l’ensemble de la filière!) assèchent des écosystèmes forestiers au nom d’un développement durable complètement faussé, en prélevant jusqu’à 90% de l’eau en période d’étiage…
Dans les vallées, il est compréhensible que les anciens qui ont sculpté le paysage, travaillé la terre et mis en pâture leurs troupeaux, se désolent de la recolonisation des prés et du bocage par les ronces, la friche et les bouleaux, annonciatrices du retour de la forêt. Toutefois, ces mêmes anciens parlent parfois de belles forêts aux ambiances sauvages qu’ils traversaient par des sentiers sinueux lors de la transhumance, lorsque les pistes forestières n’existaient pas dans les années 60.
En forêt publique, il est fréquent de voir, de larges pistes forestières zigzaguant au cœur des massifs. Elles sont pratiques pour le passage des troupeaux et pour les bergers montant en véhicule motorisé le week end à l’estive. Il arrive qu’elles fragmentent le milieu, parfois brutalement, inondant de soleil les pentes moussues.
Obturer certaines pistes après exploitation (par empierrement par exemple) devrait être une priorité, si elles conduisent à des zones sensibles. Décision laissée, dans les forêts communales, à l’appréciation des mairies.
La présence de barrières avec panneaux B-0 d’interdiction d’accès à tout véhicule non autorisé, dissuade généralement les véhicules de tourisme, mais n’empêche pas le passage des nombreux ayants droits, et souvent quads et motos trials.
Croire à l’existence pérenne des barrières avec cadenas relève aujourd’hui de l’utopie : elles sont très souvent forcées et restent donc ouvertes sur la plupart des pistes forestières. L’agent forestier assermenté peut verbaliser et s’emploie souvent à le faire, mais force est de constater, par manque de moyens humains, les nombreux abus quotidiens sur les pistes forestières et hors piste.
Rappelons ici les 3 missions de l’Office National des Forêts, gestionnaire des forêts publiques françaises : Accueillir, produire, protéger.
Aménagistes et techniciens forestiers (ou gardes forestiers) ont d’énormes domaines à gérer. Parmi les forestiers, existent des opinions, des connaissances et des sensibilités différentes. La deuxième mission citée, celle des objectifs à atteindre, est toutefois largement prioritaire (2).
Parmi les usagers, il est autant d’avis que de personnes. Ici, nature, culture et activités traditionnelles sont extrêmement liées.
La vision qu’une belle forêt de montagne est une forêt nettoyée, et que les maladies sont transportées par les champignons lignivores, a la vie dure. Dans le même temps, une partie des pyrénéens (parfois les mêmes!) ressent la complexité des équilibres naturels, et est de ce fait sensibilisée aux dynamiques propres aux écosystèmes forestiers.
Voici quelques exemples représentatifs de projets où les intérêts économiques passent devant la préservation des vieilles forêts.
Le bon sens et la mobilisation locale sont et seront parmi les principaux garants du patrimoine naturel, lorsqu’il est menacé.
A noter que ces exemples sont tous survenus avant 2015. Nous les conservons toutefois, d’une part parce qu’ils ont valeur d’archives consultables par tous, d’autre part parce que les sujets abordés restent pour beaucoup représentatifs de l’actualité.
Guzet Neige et Mijanes :
En 2005, un projet d’extension du domaine skiable de cette station ariégeoise est présenté sur une zone naturelle protégée et encore vierge d’aménagements, le vallon du Fouillet. Le projet vise une trouée dans une vieille sapinière de plusieurs kilomètres de long, sur une largeur de 20 à 30 mètres. Il condamne la présence du Grand Tétras dans la zone, espèce en voie alarmante de régression. En effet, durant les longs mois d’hibernation, un dérangement trop fréquent (notamment par les tirs déclenchant les avalanches pour la sécurité des skieurs) peut lui être fatal, sa fuite se soldant par une perte d’énergie vitale.
Même cas de figure pour la station familiale de Mijanes, où les déclenchements d’avalanche et la fréquentation condamneraient l’espèce.
Les deux projets d’extension sont également décriés comme non viables économiquement par de nombreuses voix.
“Il est important de préserver la montagne, mais dans ce secteur investi depuis longtemps par l’homme, où les inévitables nuisances ont été prises en compte depuis plusieurs années, où la preuve a été faite que l’on peut aménager sans détruire, il est dommage de bloquer ainsi tout développement” Paul Fontvielle, investisseur privé local à Mijanes, après l’instruction du dossier.
Le cas de Guzet est une première, puisque le Tribunal Administratif de Toulouse a donné raison aux APNE, et ordonné l’abandon du projet. Le projet d’extension de Mijanes a également été abandonné après la victoire en cour de cassation des APNE.
Micro centrale d’Ustou :
Une micro centrale a le droit de mettre 90% de l’eau d’un cours d’eau en dérivation pour sa conduite forcée, et ce sur plusieurs kilomètres (!). Si le ruisseau traverse un écosystème naturel, cela peut entraîner des effets catastrophiques sur la flore et la faune, et assécher partiellement le milieu.
Même si cette énergie est reconnue comme renouvelable, son autorisation d’exploitation sans garde fou (ce qui commence à changer grâce aux jurisprudences) peut donc avoir des effets très négatifs sur le milieu naturel.
A Ustou en Ariège, une tête de bassin de 2 torrents de montagne à la biodiversité remarquable, a été préservée grâce à l’action en justice du CEA, le Comité Ecologique Ariégeois, composé de quelques dizaines de bénévoles et d’une avocate particulièrement dévouée. Ces cours d’eau vierges de tout équipement, et dont l’état est qualifié de remarquable, allaient voir leur écosystème transformé sur plusieurs kilomètres en raison des prévisions de prélèvement.
85% des cours d’eau pyrénéens sont concernés par l’hydroélectricité.
Groupe Roullier : Voir l’article sur la forêt de Zilbeti, dans l’onglet “actualités”.
Cette forêt est menacée par une exploitation minière usant de moyens peu orthodoxes (prélèvements durant les fêtes de fin d’année 2011 de 800 tonnes d’“échantillons” sans permis). La zone est pourtant classée Natura 2000 et ZSC (Zone Spéciale de Conservation). Elle est aussi tête de bassin (sources de la Nive et d’un affluent majeur de l’Ebre).
C’est une hêtraie acidophile à fort intérêt patrimonial, située sur les versants espagnols pyrénéens. Continuité naturelle de la forêt d’Iraty, elle a été cédée au roi de Navarre au 13ème siècle.
Les enjeux naturalistes sont ici sans appel et appuyés de très nombreuses études. Exploitée de manière durable depuis 1991, on y trouve de nombreuses zones inaccessibles de forêt mâture à la biodiversité exceptionnelle, dont 17 couples de pics à dos blanc, Dendrocopos Leucotos de la sous espèce lillfordi, endémique de l’Ouest des Pyrénées.
Groupama :
Voici un cas unique, heureusement abandonné, l’interdiction de passage aux randonneurs par Groupama d’une forêt de 1900 hectares en sa possession, qui barrait le passage au massif du Madres. Le motif d’en faire un territoire de chasse privé, l’ouverture d’une piste sans autorisation, étaient des arguments avancés par le collectif local créé pour l’occasion.
“Je veux faire de ce domaine un écrin et éviter absolument le tourisme de masse”, se justifiait Amaury Cornut-Chauvinc, président de Groupama Méditerranée. Dans le camp d’en face, on assurait ne pas comprendre. “En haute saison c’est quelques dizaines de personnes par jour, et l’hiver il y a des semaines entières où personne ne monte au sommet du Madres”, commentait Gilles Bouchet, montagnard averti.
Les oppositions radicales :
Plusieurs fortes personnalités au charisme puissant, partisanes d’une nature gérée de façon très différente, voire opposée, existent dans les Pyrénées. A l’origine d’actions choc impressionnantes, elles font parler d’elles et se distinguent de par leur haine contre certaines espèces.
Les tactiques peu orthodoxes employées envers les sympathisants, eux non violents, sont honteuses et non démocratiques. La politique de la peur influence alors les esprits.
Le renforcement de la population d’Ours brun est au centre de ces tensions.
Ce renforcement est totalement discutable, et aurait pu être discuté en amont, tout comme les conséquences à prévoir pour les pratiques de paysannerie, notamment l’élevage en estives et l’apiculture.
De ce fait, l’action de naturalistes de terrain sur le territoire, ou d’autres organismes souhaitant par exemple, inventorier et préserver les vieilles forêts pyrénéennes, est parfois assimilée à celle de radicaux écologistes ou d’urbains déconnectés des valeurs locales qu’elles bafouent par leur ignorance ou leur indifférence.
Avec les APNE (3) existe un passif. D’une part sur le renforcement de la population d’Ours brun, pour lequel elles sont largement favorables. D’autre part, sur d’autres dossiers, les méthodes parfois employées (dossiers envoyés à la DDT) peuvent être très directes et effectivement, très mal prises localement. La tension est palpable.
Les APNE locales sont une minorité agissante, bénévole, qui a affaire à de très nombreux dossiers exerçant une pression sur la nature (risques industriels, milieux aquatiques, extensions de station de ski et autres aménagements, carrières, gravières, urbanisation, coupes rases, non respect d’habitats ou espèces protégés, etc etc etc). Les méthodes diffèrent selon les associations, composées de personnes aux sensibilités différentes. Les dossiers sur lesquels travaillent ces organismes et leurs bénévoles sont très mal connus, alors que les répercussions sur la qualité de vie de la communauté sont immenses.
Ces deux « camps » qui aujourd’hui se caricaturent, communiquent souvent peu et mal, et auraient tout à gagner à s’unir face aux « ennemis communs » : l’artificialisation des terres, l’industrialisation et le « hors sol » des pratiques (agriculture, forêt, tourisme, etc).
Le maintien d’une agriculture paysanne vivante et sans pratiques intensives est souhaitable et semble tout à fait complémentaire avec la préservation des espaces naturels comme les zones humides, les rivières, les forêts anciennes, les landes à enjeu écologique (habitats d’intérêt communautaire), etc. Ils composent nos montagnes ou la façonnent.
De nombreux paysans le pensent, de nombreux protecteurs des espaces naturels cités plus haut aussi.
Il est actuellement impossible de vouloir échanger avec certaines personnes, ou simplement d’insérer un commentaire sur un de leurs sites, où l’on rencontre un mur.
La suite est à écrire.
Pyrénées …… terre de contrastes !
(1) : Parc Naturel Régional des Pyrénées Catalanes, Parc Naturel Régional des Pyrénées Ariégeoises
(2) : Voir l’interview avec Livio Tillati, aménagiste de l’ONF
(3) : Association de Protection de la Nature et de l’Environnement