Février 2020 Quelle mouche a piqué la Confédération paysanne ?

Depuis 2019 et à maintes reprises, la Confédération paysanne, syndicat agricole bien connu, dénonce un supposé danger d’un « monde sauvage fantasmé » qui « sacrifierait le monde paysan » (voir leur article de Novembre).

En avril dernier, elle adopte en congrès national une « Motion sur l’accaparement des terres pour le ré-ensauvagement ». Les terres paysannes sont-elles mises en danger par ceux et celles qui essaient de préserver des habitats naturels ? Enquête.

 

Dans la motion est affirmée une opposition claire et sans appel au ré-ensauvagement, présenté comme une idéologie et un fantasme pouvant exclure les paysan-ne-s de leurs terres en disqualifiant leurs pratiques. Y est également exprimée une peur de sanctuarisation de sites immenses cloisonnant les espaces.
 

Les terres agricoles sont essentielles au maintien de l’élevage en montagne, des paysans y travaillent, aiment leur métier, ont un contact au quotidien avec les réalités de la montagne, tout cela est bien compréhensible. Nous ne remettons pas en cause les menaces réelles que fait peser la civilisation actuelle « hors sol » sur les terres paysannes et les surfaces pastorales. Mais les habitats naturels ne sont-ils pas tout autant fragilisés, pour les mêmes causes liées au système économique dans lequel nous vivons ?
 

En quoi la préservation d’habitats naturels en France nuit-il à la vie des paysans, entourés de nature … sauvage ? Quels sont ces organismes qui les menacent ou les provoquent ?
 

Forêt mature située sous un pâturage d’altitude © Philippe Falbet

 
La Conf publie des documents, poste des vidéos sur internet. Allons à leur découverte.
 

Lisons Fanny Metrat, paysanne éleveuse en Ardèche, dans le recueil « paroles paysannes sur les relations humain-animal »  publié par la Conf’ :

« Celles et ceux qui voudraient abolir l’élevage n’ont pas conscience qu’en mettant la Nature sous cloche, ils la rejettent, qu’ils marquent une séparation distincte entre eux et elle ; les humains transformés en pantins d’une société urbanisée et industrialisée, la Nature sanctuarisée pour scientifiques et touristes.

Avec notre troupeau, nous nous battons contre cette vision duale, « moderne » et occidentale. Comme des milliards de petits éleveurs et éleveuses à travers le Monde, nous revendiquons cette communauté que nous formons avec nos bêtes et le lieu qui nous fait vivre. Nous revendiquons notre appartenance à cet ensemble si complexe et complet. » (propos de Fanny Metrat, ).

 
Tout d’abord, il nous semble qu’existe une confusion de la part de nombreuses personnes entre les « abolitionnistes » de l’élevage et les innombrables entités et individus qui participent de près ou de loin à la protection de la nature dans l’hexagone.
 

Ensuite, la protection d’espaces naturels (laisser à leur libre évolution un parcellaire forestier ciblé, un cordon dunaire ou une tourbière) permet leur évolution naturelle dans le temps long et non un « arrêt sur image », le terme « sous cloche » est donc déplacé. A notre connaissance, dans ces zones, si un aspect menace les activités humaines (embâcle, par exemple), des clauses existent et une intervention sur le milieu peut être alors prévue.

Enfin, il nous semble nécessaire de faire la distinction entre des terres réenfrichées car non entretenues, et des habitats naturels en fragilité :
 

– D’une part, le maintien de pratiques paysannes, lorsqu’elles sont extensives, n’est pas contesté, et il faut évidemment veiller à ne pas confisquer ces terres.
 

– D’autre part, existent des milieux tels que des tourbières et marais acides, des vieilles forêts, des pierriers, landes, éboulis, substrats caillouteux, littoraux, etc, qui composent des mosaïques d’habitats et micro habitats avec des cortèges floristiques et faunistiques associés. Si les pratiques humaines ont fortement influencé ces milieux, c’est dans de nombreux cas, leur faible utilisation qui permet aujourd’hui leur richesse, ou qui la permettra demain.
 

En France, de nombreux défenseurs des habitats naturels et de leurs espèces, amateurs ou professionnels, œuvrent pour que perdure une qualité de milieux à haute valeur biologique, pour que ne disparaissent pas des espèces natives, des paysages, des ambiances.
 

Hêtraie de l’Asperulo Fagetum, sapinière à très forte maturité © Philippe Falbet

 
Ne serait-il donc pas souhaitable que cohabitent en montagne des pratiques pastorales extensives favorisant la biodiversité des milieux ouverts, avec des habitats naturels et subnaturels (peu influencés par l’homme) de qualité pour la faune et la flore qui y sont liés ?
 

Parlons du cas déclencheur de cette « mouche qui a piqué la Conf » :
 

En 2019, la Conf’ accuse publiquement l’association ASPAS (Association pour la Sauvegarde des Animaux Sauvages) d’avoir confisqué des terres agricoles avec son acquisition Vercors Vie Sauvage : 490 hectares dans la Drôme. Cette terre était une réserve de chasse, en grande majorité privée et clôturée, avec des cerfs exotiques que l’ASPAS a réussi à conserver vivants, et à stériliser pour qu’ils ne s’hybrident pas avec l’espèce locale, les femelles de notre espèce autochtone, le Cerf élaphe. Une éleveuse laitière en bio du pays, dit qu’elle y fauchait 30 hectares, sans bail toutefois. Mais l’ASPAS est opposée à ce que l’agricultrice continue cette activité, souhaitant la libre évolution de toute la propriété.

Tout d’abord, le but de l’ASPAS est d’enlever les clôtures, et de laisser faune et flore « vivre leur vie ». Qui alors, confisque des terres, l’ASPAS, dont le but est le retour de la richesse de la flore et de la faune locales, ou la chasse privée ?

Ensuite, concernant cette même éleveuse, il semble radical de lui interdire une activité qu’elle menait jusqu’alors et qui lui permettait de sécuriser son élevage. Mais comment s’est passée la rencontre, comment cela s’est il passé humainement parlant ? En tant que nouveau propriétaire « non grata », l’ASPAS a t’il été considéré par l’éleveuse ? Ou est-ce l’ASPAS qui a rejeté sa demande sans lui laisser la possibilité de discuter ? Nous ne sommes pas allés jusque là dans cette enquête, toutefois, les désaccords proviennent de mésententes humaines avant tout. 
 

Ce « dossier chaud » est très loin de représenter l’ensemble des dossiers concernant la préservation de la biodiversité, attaquée de toutes parts par des logiques financières, d’artificialisation des terres, d’urbanisation, d’instrumentalisation des ressources naturelles.
 

Concernant ce dernier point, il ne faut pas confondre les associations de protection de la nature (APNE) avec des bureaux d’étude peu scrupuleux, et de grandes entreprises proposant, au prétexte de verdir leur image, de cliquer sur leur lien internet pour planter un arbre, dans des logiques déconnectées des réalités des territoires. En règle générale, les APNE fournissent des expertises naturalistes précieuses et luttent pour la prise en compte d’espèces ou habitats naturels dans les décisions d’aménagement, avec une forme vue parfois très maladroite par certains (convocation ou alerte d’instances comme la DDT), sachant qu’ils ont le mauvais rôle de « dénoncer ». Leur impact est souvent sous estimé et mal connu sur les territoires.
 

Parmi la très grande diversité d’organismes œuvrant à la protection de la biodiversité, Forêts préservées est un fonds de dotation ayant pour objet la préservation d’écosystèmes forestiers ciblés, à enjeu écologique fort, grâce à l’acquisition foncière, notamment dans les Pyrénées, en les soustrayant à l’exploitation forestière, et en les laissant à leur évolution naturelle.

Il suffit de parcourir www.vieillesforets.com pour comprendre la valeur biologique et la rareté des vieilles forêts pyrénéennes, anciennes et matures, considérées comme des cœurs de biodiversité, mais qui peuvent être déstructurées en un clin d’œil par simple décision de gestion forestière.
 

La Conf dans ses déclarations, en demandant dans sa motion que « les autorités françaises encadrent la législation foncière liée au ré-ensauvagement », nuit à ces deux organismes, les montre indirectement du doigt, les classe dans la «vision duale de la nature » .  Les paysan-ne-s syndiqués en ont-ils conscience ?

Tous ici recherchons l’existence d’un monde « vivant », beau car on y respire, où l’œil porte loin, un monde riche d’habitats naturels diversifiés, qu’ils soient d’origine subnaturelle (peu influencés par l’homme) ou liés aux pratiques humaines existantes.
 

Alors, pouvons-nous trouver des solutions ensemble, ou irons-nous dans cette vision binaire du monde que la Conf critique tant ?
 

En Mai 2019, l’auteur de ce site avait adressé une lettre ouverte à la Conf afin de la mettre en garde contre les dérapages contenus dans cette motion, nuisant à ceux et celles qui essaient de préserver en France les milieux naturels, notamment les vieilles forêts.
 

Il espère que la Conf comprendra qu’elle se trompe d’ennemi, et évoluera dans son positionnement pour cohabiter avec des habitats subnaturels de qualité, dont les causes de disparition nous semblent aujourd’hui être les mêmes que celles de la paysannerie, et dont l’approche est tout à fait complémentaire dans sa dimension territoriale avec la préservation des terres paysannes et de ses pratiques. En tout cas, nous le croyons !
 
 

Philippe Falbet

Auteur du site vieillesforets.com, membre fondateur du fonds de dotation Forêts préservées


5 réflexions au sujet de « Février 2020 Quelle mouche a piqué la Confédération paysanne ? »

  1. Vincent Girardot

    bonjour Philippe, apres lecture de cette page web et de votre lettre ouverte a la Conf’, je trouve votre action assez temperee et constructive dans un cadre d’action noble. Je suis personnellement proche de la Conf’, n’en etant pas membre (je ne suis pas agriculteur de statut mais veto en milieu rural) mais proche de coeur ‘politiquement’. Je suis en effet assez incomprehensif de cette reaction de la Conf’ et partage ici vos points de vue. Donc juste un petit message de soutien. cordialement,

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  2. Verté

    Bonjour. Théoriquement il ne devrait pas y avoir de conflit entre les objectifs de mise en réserve intégrale de vieilles forêts et pastoralisme. Notamment parce que un des déterminants de la biodiversité forestière est la continuité du couvert forestier, l’absence de phase agricole et de déboisement donc. En pratique on a des associations « naturalistes » type aspas qui justifie leur action non pas par la conservation de la biodiversité ou la préservation d’habitat, mais par la constitution d’espaces où les activités humaines de type chasse, pêche, élevage seraient exclues, au bénéfice d’une vie sauvage un tantinet fantasmée. La réaction de la Conf est sans doute à mettre en relation avec l’achat par l’aspas d’espaces en déprise agricole avec campagne médiatique pour lever les fonds nécessaires. Les achats de terrain par des organisations de conservation de la nature sont une pratique courante: conservatoire du littoral, conservatoires d’espaces naturels, LPO… ce sont chaque année des milliers d’hectares qui sont acquis par des organisations de conservation de la nature sans que les syndicats agricoles n’en fassent un problème. Dans certains cas les SAFER préemptent au bénéfice de la conservation de la nature. Notez que l’ASPAS a nié cette réalité, puisque dans sa campagne de presse ils présentaient l’achat dans le Vercors comme une première. On peut par ailleurs s’interroger sur l’intérêt point de vue conservation de la nature d’aller mettre autant d’argent à cet endroit. Jusque à présent l’intérêt biologique du site n’avait pas fait l’objet d’un signalement particulier. Etait-ce vraiment le meilleur usage à faire de cet argent du point de vue de la conservation de la biodiversité? La réaction de la Conf me semble justifiée par deux éléments: la démarche de l’ASPAS, qui n’agit pas pour la conservation d’espèces rares ou menacées, mais contre certaines activités humaines, même si elles ne menacent pas la conservation de la nature – on a plutôt un souci d’excès de grand gibier que de manque – et le fait que le « rewilding » ne porte pas que sur la conservation de vieilles forêts, mais aussi sur la conservation d’espaces ouverts, agricoles, au moins de grands herbivores type bison, aurochs, chevaux… dans une volonté de reconstituer des écosystèmes avec la grande faune européenne, sur base des travaux de Vera notamment. Une démarche intéressante, mais qui est portée en France par des idéologues plus que par des conservationistes, d’où les tensions. On peut rajouter le loup par dessus cela, qui ne se cantonnement malheureusement pas aux vieilles forêts, mais sort du bois pour attaquer les troupeaux.

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    1. Phil69Cor62@47 Auteur de l’article

      Merci pour votre commentaire intéressant. Je partage votre analyse sur les causes de réaction de la Conf. Si la confédération paysanne voulait attaquer l’ASPAS, elle aurait pu le faire de manière ciblée et directe, au lieu de toucher par cette motion, l’ensemble des acteurs de protection de la nature et de la naturalité ! A noter que l’ASPAS se projette à très long terme, et que le site acquis dans le Vercors, s’il n’a pas aujourd’hui d’espèces rares et protégées, en aura après demain, dans 100, 150 ans … si toutefois les règles de notre société et de la propriété restent les mêmes. L’ASPAS fait ce pari, souhaite également des lieux de quiétude pour toutes les espèces animales et végétales. Je respecte le fait que vous trouviez cette position « un tantinet fantasmée », celle de s’opposer au ré-ensauvagement, ou de voir disparaître tous les prédateurs naturels, me paraît de mon côté, être une position tout aussi fantasmée, en tout cas un tantinet !

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  3. Emmanuel MENONI

    Bonjour
    Je me permets de mettre mon grain de sel, de part ma passion pour la nature dont j’ai eu la chance de pouvoir faire mon métier, et aussi pour la ruralité dont je suis issu et la petite agriculture de montagne et à laquelle je suis très attaché: eh bien, je suis sûr, d’une part, qu’il y a la place pour tout le monde: et ceux qui veulent vivre de productions animales ou végétales respectueuses de l’environnement, et ceux qui souhaitent un peu plus de naturalité dans nos paysages. Un constat: entre la I guerre mondiale et la fin de la seconde, nos montagnes se sont vraiment réensauvagées, au sens propre du terme, par retour spontané des forêts qui avaient, il faut bien le reconnaître, été largement détruites et dégradées par 3 siècle de surexploitation paysanne et proto-industrielle. Ce retour a été suivi de celui de cortèges de faunes (petite et grande) et de flore, qui a été un bienfait pour tout le monde: on ne comptait plus les catastrophes liées au ravinement, aux avalanches, aux crues etc. Mais il est vrai aussi que quand ce processus repartait de milieux excessivement appauvris, ou bien était trop rapide, il s’est produit une banalisation des espaces que l’élevage en montagne et d’autres pratiques humaines ont permis de contrer, ou de conserver certains éléments de la biodiversité. Le vrai problème ne provient pas de ce qui pourrait-être soustrait à l’agriculture par le dit « ré-ensauvagement », mais par les dizaines de milliers d’ha qui chaque année passent sous le béton, le goudron, mais aussi l’agriculture industrielle. (cf des statistiques fiables très faciles à obtenir, par ex données IFN). Les surfaces acquises ou gérées par les Conservatoires des Espaces Naturels par ex. ne sont rien en comparaison, et en outre, concernent très généralement des milieux à faible enjeu agricole; en outre des activités agricoles raisonnées s’y exercent dans bien des cas. Je ne serais pas plus long, bien qu’il faudrait aussi parler des aspects éthiques, esthétiques, et philosophiques sous-tendus par ces questions. Cordialement

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    1. Phil69Cor62@47 Auteur de l’article

      Merci d’avoir apporté ces éclairages intéressants. Nous sommes du même avis … il reste à espérer que la Conf ait dans ses rangs, des personnes qui peuvent l’entendre …

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