Voici un exemple d’initiative communale pour la protection du patrimoine naturel forestier : La Réserve Naturelle Régionale d’Aulon, qui se situe dans les Hautes Pyrénées au pied de l’Arbizon.
Elle protège une mosaïque d’habitats riches et diversifiés où les activités de l’homme sont bien présentes. Elle préserve également une sapinière de 107 hectares sans intervention humaine, en évolution naturelle.
Rémi Laffitte y a été garde animateur de 2011 à 2017. Il me reçoit en 2013 à la Maison de la Nature d’Aulon.
1. Pour quelles raisons principales la commune d’Aulon a t’elle décidé de créer une Réserve Naturelle Régionale sur son territoire ?
La commune d’Aulon a toujours considéré qu’elle avait en gestion un territoire de montagne précieux et fragile à plusieurs points de vue, flore, faune, paysage, mais aussi un patrimoine culturel lié aux activités traditionnelles. Nous nous devons de préserver tout cela pour le transmettre aux générations futures. Cela induit donc une gestion rigoureuse de l’environnement. Et puis il y a une volonté communale pour que la population locale soit en mesure de définir son propre projet de développement social, culturel et économique, dans une démarche participative.
En 2000, la commune a créé une Réserve Naturelle Volontaire (RNV), qui a évolué en Réserve Naturelle Régionale (RNR) en 2011. On est en zone d’adhésion du Parc (1), et à proximité de la Réserve Naturelle du Néouvielle, on fait partie d’une entité naturelle importante. Il y a sur les 1237 ha de la réserve, une grande mosaïque de paysages et d’habitats, avec un gradient altitudinal allant de 1350 à 2738 mètres.
Au delà de l’aspect environnemental, la commune entend s’appuyer sur cette démarche pour conforter le développement économique dans son ensemble. La Commune contribue au développement de la station de Saint Lary Soulan par les équipements qui ont été réalisés sur son territoire mais qui restent limités à un secteur extérieur à la zone protégée.
2. La découverte pédestre est donc le moyen par excellence de découvrir la Réserve ?
Oui, et les sentiers sont bien délimités. Il n’y a pas de sentiers annexes hormis les sentes de brebis. Le GR10 passe juste en périphérie.
3. Par quels moyens les usagers sont ils sensibilisés à l’importance patrimoniale et à la connaissance du milieu naturel ?
Un Comité consultatif de gestion de la réserve comptant environ 40 membres, qui sont des élus, des APNE (2), le Parc, l’Office National des Forêts, les représentants des chasseurs, des bergers qui viennent transhumer ou qui sont du village, des accompagnateurs de moyenne montagne, entre autres. Ils se réunissent 1 fois par an et déterminent les lignes de conduite à tenir sur l’année par rapport aux objectifs de gestion, de conservation et d’animation. Ils valident les objectifs à atteindre, sollicitent alors des fonds à la région, à l’Europe et à la commune.
L’année dernière, l’association « la Frênette », gestionnaire de la Réserve Naturelle Régionale d’Aulon, a établi un programme de 25 manifestations, des conférences, des sorties accompagnées, sur différents sujets en lien avec le patrimoine naturel et culturel. Un site internet est également activé pour mettre à disposition de l’information en direction des usagers et du grand public.
4. Quels sont les habitats naturels présents dans la réserve ? Le pastoralisme y est il présent ?
Les pelouses et les éboulis dominent. Il y a aussi des cours d’eau avec des zones plus humides.
Les estives sont pâturées en été par 4000 ovins et 300 bovins environ. Le pastoralisme fait partie des piliers économiques de la commune et il y a toujours eu une volonté politique de conserver cette activité traditionnelle dans la Réserve. La RNR permet la conservation des milieux mais elle est aussi un levier économique.
5. Quelles sont les espèces présentes dans la Réserve ?
Grand tétras, loutre, desman, perdrix grise et grands ongulés sont signalés dans la Réserve.
La présence du grand tétras est supposée, des travaux d’inventaire sont à faire, nous n’avons pas encore eu le temps de mener à bien certaines études car la RNR a été créée en 2011. Avant le reclassement, la RNV avait juste le mérite d’exister mais il n’y avait pas cette dynamique de suivi ni de salarié, ni de plan de gestion, ni de comité consultatif. Aujourd’hui, les moyens sont différents.
Dans la forêt communale, l’ONF et le Parc font des prospections à la recherche des places de chant.
Et puis une journée de prospection avec chiens d’arrêt est organisée par le Président de l’ACCA d’Aulon, pour le compte de la Fédération Départementale des Chasseurs des Hautes-Pyrénées. Elle est appuyée par la présence d’un agent de l’ONF, d’un agent de l’ONCFS, d’un agent du Parc National des Pyrénées et du garde-animateur de la RNR. Les chiens sont créancés pour marquer l’arrêt où existe un galliforme de montagne. Cela permet un contact avec des poules, savoir si elles sont accompagnées de poussins, et d’apprécier ainsi le succès de la reproduction.
Quant à l’ours, son passage n’a pas été signalé.
6. Il existe donc une forêt en libre évolution de 107 hectares. Est elle pâturée, y pratique t’on la chasse ?
La forêt présente dans la Réserve est soumise au Régime Forestier et est inexploitée. Elle est très peu pâturée car son relief est très accidenté. C’est un refuge pour les ongulés, chevreuils, sangliers, cerfs, isards. La chasse est autorisée mais la forêt est très peu fréquentée par les chasseurs, du fait du manque d’accessibilité.
7. Y a t’il déjà eu des manifestations touchant à l’éveil sensible en forêt, ou concernant la non intervention ? Est ce que cette thématique vous intéresse ?
L’année dernière, il y a eu des séances participatives mises en place par le Muséum d’Histoire Naturelle, une opération appelée « 50000 observations pour la forêt » (3). Les visiteurs avaient une liste d’espèces et à chaque fois qu’ils en observaient une, ils la notaient puis l’inséraient dans la base naturaliste du site internet. Une intervention sur l’éveil sensible me paraît intéressante, si on trouve la compétence pour l’organiser ! Et que le contenu puisse être accessible au grand public.
8. Y a-t-il des suivis ou des études naturalistes sur cet habitat forestier ou ses espèces ?
Nous rédigeons un plan de gestion valable 5 ans avec des fiches-action, et il en existe sur ces 2 parcelles non exploitées. Nous souhaiterions dans le futur réaliser un inventaire non exhaustif des espèces faune et flore, nous avons pour l’instant très peu d’éléments. Réserves Naturelles de France nous a envoyé un questionnaire intitulé « évaluation de l’importance des forêts à caractère naturel dans le réseau des Réserves Naturelles ». Pour le remplir, nous nous sommes fait assister d’un entomologue forestier (4) qui étudie dans la forêt les zones de chablis (5), où il a posé des pièges à insectes.
Selon les données que nous avons communiquées, le volume de bois mort (ratio bois mort/bois vivant) est estimé à 20%. La sapinière domine, il y a aussi des hêtres, des pins sylvestres, ainsi que des peuplements pionniers (bouleaux, noisetiers). Environ 60% de la forêt est en phase de maturité ou de déclin, 40% est en phase de rajeunissement.
9. Jusque dans les années 60, l’exploitation dans les Pyrénées se faisait grâce à une technique de tri câble fonctionnant sur les principes des téléphériques de station de ski. Le plus long en vallée d’Ossau faisait 18 kms ! (6) Donc les forêts très reculées peuvent être marquées par des « coupes à câble », est ce le cas de cette forêt ?
Nous n’avons pas ces données. La continuité forestière existe depuis plus de 200 ans, mais la date réelle d’arrêt de l’exploitation est inconnue.
10. La communication faite sur la réserve engendre t’elle parfois, l’été pour la randonnée ou l’hiver pour la raquette, une fréquentation gênante pour la quiétude de la faune ou l’équilibre du milieu ?
Il existe dans la réserve une règlementation spécifique qui dit que les randonneurs doivent rester sur les sentiers balisés, sachant que ceux ci sont éloignés des zones de quiétude de la faune sauvage. Il n’y a pas à priori de réels dérangements. Le ski de randonnée et la raquette constituent des activités mineures sur la Réserve, et se pratiquent dans des secteurs éloignées des zones forestières.
11. Existe-t-il une continuité forestière entre la forêt communale (216,65 ha) et la forêt de la réserve ?
Juste un petit vallon les sépare, ce qui ne gène absolument pas les grand tétras dans leurs déplacements.
12. La forêt communale est adossée à la RNR. C’est une sapinière où montent de larges pistes en lacets chaque 100 mètres environ, avec des virages très largement déboisés, qui ont ouvert à la lumière un milieu spécialisé. Nous nous interrogeons sur la méthode employée ici pour exploiter la forêt, exploitation qui n’est pas à remettre en question, mais est conduite de manière semble t’il peu durable. Cette zone est également dans sa partie haute une place de chant pour le grand tétras. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
Il existe une piste forestière principale ainsi que des pistes secondaires dans la forêt communale hors partie boisée de la RNR. Ces pistes ont été tracées et construites dans les années 90-95 avec deux objectifs. Tout d’abord, permettre l’exploitation forestière. A l’époque, la commune avait besoin de l’apport financier des ventes des coupes de bois pour établir ses budgets. Ensuite, permettre l’accès motorisé aux estives de la Serre pour les besoins de l’activité pastorale.
A noter que la piste principale est fermée à la circulation par une barrière, et que l’accès aux pistes secondaires est de ce fait impossible.
A noter aussi que la Commune d’Aulon à créé un Comité Consultatif de Gestion de la forêt avec la participation de l’Office National des Forêts. Ce comité statue sur les conditions d’exploitation et prend en compte tous les impératifs d’ordre écologique.
13. A votre connaissance, cette initiative de réserve, audacieuse pour une aussi petite commune, sert t’elle d’exemple à d’autres organismes ou communes pyrénéennes ?
Oui, une RNV nous a consultés à plusieurs reprises pour son reclassement en RNR. Il s’agit du projet de création de la RNR de Montségur en Ariège, sur la forêt d’Embeyre. Nous les avons renseignés sur les démarches de reclassement en RNR. D’autre part, la région nous convoque assez régulièrement pour des réunions avec le réseau des réserves, où nous partageons des éléments et des expériences.
(1) : Parc National des Pyrénées Occidentales
(2) : Comité local 65 de Nature Midi Pyrénées
(3) : Les espèces retenues sont sensibles aux fragmentations forestières et facilement identifiables par des non spécialistes. Renseignements : http://www.biodiversite-foret.fr/
(4) : Appartenant à la Cellule d’Etudes Entomologiques de l’Office National des Forêts
(5) : Zone d’arbres renversés et dessouchés, dont la décomposition améliore la qualité de l’humus et est associée à la présence de nombreux insectes décomposeurs de bois mort
(6) : source Michel Bartoli
Crédits photos : RNR d’Aulon / Photo piège à insectes : Philippe Falbet
Une source sûre m’a confirmé récemment que seulement 5 à 10 ha du site représentent réellement de la vieille forêt, selon la typologie employée pour les qualifier dans les Pyrénées. Le reste correspond à des accrus assez récents.
Dèf wikipedia des accrus : « En sylviculture, les accrus forestiers constituent des espaces intermédiaires entre les friches issues de l’abandon de terres cultivées ou de surfaces à vocation pastorale, et la forêt proprement dite. »