Décembre 2018  La forêt marche sur des œufs

Notre site publie depuis 2013, de nombreuses enquêtes et actualités dénonçant des pratiques sylvicoles peu respectueuses du milieu naturel, et d’autres au contraire, intégrant la prise en compte de la biologie dans l’exploitation forestière.

Force est de constater qu’en France, un abîme existe actuellement entre ces deux « mondes », avec des visions et pratiques souvent très éloignées, dont certaines désastreuses pour les écosystèmes. Plusieurs événements ont marqué 2018, nous vous en proposons un bref aperçu dans cette enquête.

 

   Deux « mondes » aux valeurs opposées ?

 
La forêt privée occupe environ 70% de la superficie de la forêt française. Dans celles qui sont en production, il existe une diversité d’acteurs forestiers, qui gèrent la forêt selon des approches très différentes, aux philosophies souvent opposées. Les deux grands « mondes » qui y travaillent sont :

d’un côté, coopératives, diverses industries et organismes prônant des méthodes visant le court terme et la rentabilité au détriment de la prise en compte du milieu naturel (coupes rases, enrésinement, mécanisation lourde, etc). Les méthodes et itinéraires sylvicoles mis en œuvre sont pour beaucoup, subventionnés par les pouvoirs publics ;

de l’autre, de multiples initiatives plus ou moins viables économiquement, permettant que la forêt reste un écosystème fonctionnel, respectant les sols et la biodiversité (modèles de sylviculture continue, à couvert forestier permanent, éclaircies douces permettant la régénération naturelle et la durabilité de la forêt). Elles sont notamment plus ou moins viables, car elles sont en marge des rouages des subventions tout en devant rester compétitives économiquement.

Il existe pourtant, à notre sens, des solutions qui ne demandent qu’à être encouragées, permettant une sylviculture économiquement rentable, permettant de faire vivre une filière aval locale et à taille humaine, pouvant prétendre au respect des milieux naturels. C’est le « monde » des savoir-faire, qui se bat en France pour ne pas disparaître (groupements forestiers privilégiant la régénération naturelle et la sylviculture d’arbres, petites scieries, débardeurs à cheval, bûcherons, charpentiers, etc).

Certains pays voisins nous donnent des pistes de travail concrètes allant dans ce sens : alors que la Suisse a interdit les coupes rases, l’Allemagne interdit l’export de grumes brutes de chêne au profit de bois transformés dans le pays, afin de conserver une forte valeur ajoutée locale et de réduire le déficit de sa balance commerciale.

De très nombreux mécanismes et agissements favorisent l’industrialisation au détriment des petites entreprises, favorisent la plantation mono culturale d’essences exogènes au lieu de forêts mélangées d’essences locales, affaiblissent voire détruisent les habitats forestiers et leur biodiversité associée.

Tellement sont à dénoncer, tant dans la machine économique qu’au niveau institutionnel, que le citoyen, même lorsqu’il s’intéresse à la thématique, a de quoi se perdre. Il est facile de se faire renvoyer par des dits professionnels de la forêt et du bois au rang de citadin ignorant, empêchant la filière de travailler dans le contexte complexe, opaque et mondialisé qui existe aujourd’hui.

En outre, certains forestiers et experts forestiers sont convaincus que l’on ne peut pas faire autrement. L’enrésinement et l‘industrialisation de la production, qui vont souvent de pair, sont pour eux un sinequanone pour conserver des emplois, des scieries, une filière dynamique. Pour eux, la forêt est d’abord vue comme une ressource, pas comme un milieu naturel.

En 2018, la tendance globale est donc de demander à la forêt de s’adapter aux marchés. Les naturalistes travaillant dans le milieu forestier et une partie du monde forestier sont opposés à cette tendance, et mettent en avant des alternatives.

Taillis sous futaie prévu en coupe rase pour être remplacé par une monoculture de robiniers faux acacias, piémont pyrénéen

Coupe rase effectuée durant l’été 2018, piémont ariégeois

 



















 

    En 2018, des événements controversés

 
Plusieurs événements en 2018, montrent l’abîme de déconnexion existant entre ces deux « mondes » :
 

– RAPPORT DU CGAEER :

En février 2018, la publication d’un rapport du CGAAER a fait grand bruit.

Celui-ci indiquait vouloir « prévenir les risques de protestation du public contre la coupe des arbres, suscitée, notamment, par des ONG hostiles. ».

Le réseau forêt de France Nature Environnement (supposée « ONG hostile ») y a répondu dans une analyse publiée ici.

L’une des phrases clé à y retenir (page 3 du rapport) est celle-ci :

« si la perception des citoyens a évolué, elle l’a fait en écho à certaines pratiques sylvicoles constatées depuis plusieurs décennies (mécanisation des récoltes, impacts paysagers des coupes rases, transformations de peuplements…), ainsi que grâce à la diffusion d’alternatives performantes d’un point de vue environnemental, mais aussi économique (sylviculture à couvert continu, techniques de débardage moins impactantes…). »
 

– L’INTELLIGENCE DES ARBRES :

Le documentaire à succès L’intelligence des arbres (voir la bande annonce) a été très décrié par plusieurs scientifiques et professionnels de la filière. Si certains propos du film relèvent certes d’un certain anthropocentrisme, il a eu le (grand) mérite d’exposer au grand public la complexité des processus biochimiques des arbres, et de montrer qu’on en ignore sûrement 99 %.

Comme le souligne Jean-François Ponge, professeur émérite au Muséum National d’Histoire Naturelle : « Les recherches les plus récentes sur le monde végétal mettent l’accent sur la communication, entre les parties d’un même végétal, entre des végétaux de la même espèce croissant ensemble, et entre des espèces différentes. ce n’est pas propre aux arbres mais à l’ensemble du monde végétal, y compris bactérien, et bien entendu (mais ce n’était pas nouveau) au monde animal. Nous n’en sommes qu’au tout début de ces recherches. »
 

– LE TEMPS DES FORETS :

Le film Le temps des forêts (voir la bande annonce) est le premier documentaire qui montre que le monde de la forêt fonctionne comme celui de l’agriculture, avec le bio et les pratiques éthiques d’un coté, et les champs de maïs de l’autre.

Les réactions des coopératives et du monde industrialo-sylvicole ne se sont pas fait attendre.

L’edito de Septembre 2018 d’Alliance Forêt Bois, première coopérative forestière de France par sa taille, est à lire pour se faire sa propre opinion. La coopérative apparaît plusieurs fois dans le film.

Extraits :

«Non ! Nous ne pouvons assouvir les fantasmes de tous les citadins. Non ! Nous ne supportons plus d’être la caution de tous ceux qui polluent notre planète et qui, pour se donner bonne conscience, nous interdisent de travailler. Non ! Nous ne supportons plus ces donneurs de leçon qui méconnaissent la terre, les arbres et le travail quotidien des forestiers.»

« D’autres pensent que les arbres, comme les anges, se parlent et communiquent entre eux et qu’à leur contact, l’humain devient meilleur. »  

 

    2018 : l’année d’élaboration des Programmes Régionaux de la Forêt et du Bois
 

Le Plan National Forêt Bois (PNFB) est un document cadre incontournable : il est à portée réglementaire pour une durée de 10 ans.

Il prévoit notamment d’augmenter les volumes de mobilisation de bois de 12 millions de m³/an.

Les Commissions Régionales de la Forêt et du Bois (CRFB) ont été chargées de décliner le Plan Régional Forêt Bois (PRFB) dans chaque région.

Elles ont réuni pour cela des représentants des acteurs de la filière, des représentants des territoires, des institutionnels, ainsi que des organismes œuvrant à la prise en compte de la biologie dans la gestion dite durable et multifonctionnelle.

Les commissions ont été le théâtre de prises de position parfois contradictoires entre les différents représentants présents. Même si dans certaines régions, des mesures en faveur de la biodiversité ont pu voir le jour, le résultat est globalement très décevant pour les représentants prônant la prise en compte de la biologie des forêts dans la gestion courante :

partout, la volonté du productivisme et de l’industrialisation de la forêt semblent confirmés.

Les volets environnementaux se contentent la plupart du temps de préconisations. Dans ce contexte, la régression environnementale est prévisible !

   L’EXEMPLE DE L’OCCITANIE :

   Les acteurs composant la CRFB Occitanie ont mis un peu plus d’un an à élaborer le Programme Régional de la Forêt et du Bois 2019-2029.

Les débats ont été très orientés vers les peuplements mono-spécifiques (Sapin de Douglas principalement). Dans la dernière version du document global, le mot « plantation » revient 29 fois, alors que « régénération naturelle » n’est cité que 5 fois.

Ceux-ci sont considérés comme le principal atout permettant de dynamiser la filière bois et l’un des principaux moyens d’adaptation des peuplements forestiers au changement climatique.

Pour les APNE  (Associations de Protection de la Nature et de l’Environnement), les peuplements naturels diversifiés et la sylviculture privilégiant la régénération naturelle permettent une forêt productive d’avenir, et ont toujours mieux résisté que les peuplements artificiels (incidents climatiques, attaques parasitaires). C’est une position partagée avec les territoires (PNR) et la DREAL.

Grâce à l’insistance de plusieurs membres, une fiche-action « amélioration » a trouvé une place au chapitre « sylviculture de demain ». Toutefois, elle « pèse » peu dans la balance face aux mesures soutenant les plantations monoculturales.

La DRAAF, animant les ateliers, a encouragé le dialogue. Les APNE ont pu s’exprimer, mais leurs positions n’ont globalement pas été prises en considération. L’intervention de l’un des acteurs de la filière demandée par FNE Midi Pyrénées a été refusée en amont des réunions, tout comme l’étude d’une fiche-action « sylviculture douce », proposée avec la collaboration du Réseau des Alternatives Forestières et de Pro Silva.

Une partie de la filière (sylviculture douce, Pro Silva, SCOP de charpentiers, petits scieurs, scieurs mobiles, débardeurs à cheval, etc)   n’était pas représentée dans les groupes de travail, alors qu’elle incarne une force économique alternative à moindre impact environnemental qui aurait « poussé » dans le même sens.

Un groupe de travail a travaillé sur les « services rendus » et la biodiversité de manière assidue. Une fiche-action biodiversité a listé de très nombreuses actions bénéfiques à sa prise en compte. Pourtant, il a été décidé par la CRFB le maintien de conservation des habitats forestiers relevé en 2018. Si cet objectif est déjà louable, il manque d’ambition. On peut regretter que, dans le contexte actuel d’effondrement de la biodiversité et de rapide transformation d’écosystèmes naturels, les objectifs visant la bonne santé des habitats forestiers en Occitanie ne soient pas tirés vers le haut, appuyés par la rédaction de la fiche-action biodiversité, dans laquelle les APNE se sont fortement investies.
 

La biodiversité est le socle du bon fonctionnement de l’écosystème, qui permet aux « services rendus » d’exister, parmi lesquels la production de bois.
 

Nous sommes très loin de cette vision dans les PRFB.


 

  Des supports pour la compréhension de tous

 

Voici quelques pistes permettant d’éclaircir le lecteur :
 

– LE TEMPS DES FORETS :

Au risque de nous répéter, nous ne pouvons que vous encourager à aller voir Le temps des forêts. Il passe au cinéma actuellement, et sera sûrement disponible en DVD prochainement. C’est le premier documentaire présentant la forêt comme l’agriculture, avec les « champs de maïs » d’un côté et les pratiques éthiques de l’autre.

Un supplément gratuit filme une rencontre avec Rémy Gautier, technicien forestier indépendant, pour le visionner, cliquer ici

Un second supplément montre les travers de la sylviculture landaise et les solutions apportées gratuitement par la régénération naturelle. Un magnifique témoignage de Jacques Hazera, vice président de Pro Silva, qui réconcilie le citoyen avec une approche sylvicole éthique et respectueuse des cycles de la forêt. A visionner sur Télé Millevaches en cliquant ici

 

– GF POUR LA SAUVEGARDE DES FEUILLUS DU MORVAN :

L’exemple courageux et qui fait aujourd’hui référence du Groupement forestier pour la sauvegarde des feuillus du Morvan, apparaissant dans le documentaire « Le temps des forêts »

 

– NOS FORETS EN DANGER :

L’excellent livre « Nos forêts en danger » écrit par un forestier professionnel qui a désiré garder l’anonymat, à commander ici

 

– COLLECTIF SOS FORET :

Le collectif SOS Forêt regroupe des forestiers, des associations environnementales et des citoyens qui militent pour une autre approche de la forêt et de la sylviculture : produire du bois de qualité, transformé localement, dans le respect de la forêt, de nos paysages et surtout dans l’intérêt des générations futures.

Le collectif a édité 16 propositions pour garantir une gestion exemplaire des forêts métropolitaines. 

 

– LA MARCHE POUR LA FORET :

Une Marche pour la forêt a été organisée en 2018 par les personnels de l’Office National des Forêts regroupés en intersyndicale, pour la défense des forêts publiques.

Un manifeste a été co-signé par de très nombreux organismes : le manifeste de Tronçais

Ce manifeste a été lu devant plus de 1500 personnes regroupées dans la forêt de Troncay pour un grand rassemblement qui clôturait la marche. Les marcheurs venaient des 4 coins de France : Strasbourg, Perpignan, Mulhouse et Valence.
 

– LABELS PEFC ET FSC :

Les labels n’ont plus la côte. Alors que l’émission Cash Investigation épingle, voire ridiculise le label PEFC (voir en podcast), le documentaire Forêts labellisées, arbres protégés (voir en podcast) fait une enquête choc sur le label FSC  en remontant à la source des dites forêts.

Chaque organisme a réagi sur son site internet par un droit de réponse.
 

– ARTICLE DU CANARD ENCHAINE :

Enfin, cet article du journal « Le canard enchaîné » du mois d’octobre 2018, « Hêtre ou ne pas être », qui résume le sentiment exprimé dans cet article :
 

La forêt, en 2018, marche sur des oeufs !!
 


3 réflexions au sujet de « Décembre 2018  La forêt marche sur des œufs »

  1. CARON Didier

    Bravo, voilà une très belle synthèse de la situation en ce début d’année 2019.
    La question qui vient immédiatement à l’esprit est la suivante: «  comment faire valoir notre point de vue ? »
    Membre de SOS forêt Hauts de France, nous avons la volonté d’informer encore et encore les politiques mais également le grand public … mais le travail est colossal …

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  2. DELOBEL

    Monsieur,

    Votre page présente des éléments intéressants, utiles, diversifiés mais plutôt objectifs avec un parti pris évident…
    Certains points abordés manquent d’éclaircissements, de comparaisons ou d’analyse critique.
    Je salue votre site qui communique sur les évènements de votre région, essaye de vulgariser le monde complexe de la forêt française et qui peux amener au débat.
    J’aurais plaisir à échanger avec vous dans un dialogue constructif sur cette page ou tout sujet forestier général (étant du Nord de la France, je ne pourrais pas vous rencontrer ou aborder avec vous les spécificités de la forêt pyrénéenne).

    J.DELOBEL
    Technicien Forestier

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    1. Phil69Cor62@47 Auteur de l’article

      Merci pour vos commentaires. Vous ne devez pas être destinataire de la « lettre d’info trimestrielle de l’hiver » envoyée début janvier 2019, qui spécifie :
      « Bien sûr, tous ne seront pas d’accord avec les sujets choisis et nos points d’analyse. Les intérêts divergent et il existe une grande diversité d’opinions et de positions. Toutefois, nous pensons comme G.J.Arts, qu’« il y a deux avantages à posséder quelques connaissances : on juge moins et on juge mieux. » A une époque où de nombreuses personnes sortent dans la rue pour plus de justice sociale, des thèmes d’intérêt général, comme celui du respect des forêts et des arbres qui nous entourent, restent dans l’ombre. »
      Nous avons publié cette enquête car les idées véhiculées par la filière bois vont généralement dans un seul sens : celui qui les sert. La prise en compte de la biodiversité dans la gestion forestière, si elle est déclinée au niveau national dans des directives pour la forêt publique (peu ou bien appliquée en local selon la sensibilité des acteurs), est un désert réglementaire en forêt privée. Mais vous n’êtes pas obligé d’être de cet avis. Je vous invite à m’écrire directement si vous le souhaitez : contact@vieillesforets.com. Je peux également vous faire parvenir la lettre trimestrielle.
      Merci.

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