Il existe dans la filière bois de nouveaux acteurs aux objectifs donnant le vertige. Centrales de granulé bois et de production d’électricité s’installent un peu partout en France, avec des investissements de plusieurs dizaines de millions d’euros chacune. Cet article propose un zoom sur les installations d’entreprises dans le bassin de Lacq, en piémont pyrénéen.
Cet article date de 2014, nous le conservons toutefois car la plupart de ses données sont plus que jamais d’actualité.
Les granulés bois ont le vent en poupe, mais …
Fort pouvoir calorifique, très faible émission de CO2, énergie renouvelable et durable … La diminution des émissions de gaz à effet de serre est largement mise en avant comme l’un des principaux atouts écologiques des granulés bois. Un nouveau mode de combustible performant, cautionné par une opinion publique sensibilisée par l’avenir de notre planète.
Mais il y a plusieurs Mais : Le premier est que contrairement à ce qui est annoncé par certains vendeurs de granulés, ceux ci ne proviennent pas exclusivement de déchets de scierie, mais bien de forêts existantes. On peut également observer que le bois se retrouve, en fin de chaîne, réduit en copeaux. Ce qui signifie qu’en amont, si l’on ne considère que l’aspect production sans aborder aucun volet éthique, les essences plantées et le mode de traitement pourraient être sans importance, le but étant simplement de produire du volume rapidement. Essences exotiques, plantations monospécifiques traitées en futaie régulière, taillis à courte rotation, coupes rases, sont parmi les dangers qui guettent les forêts concernées : D’immenses surfaces !
Ensuite, concernant les impacts de la filière énergétique biomasse, de plus en plus de voix s’élèvent contre l’argument « carbone neutre » avancé, et dénoncent un discours simplificateur, qui va à l’encontre des objectifs affirmés. A titre d’exemple, les dioxines – particules chimiques les plus toxiques – seraient émises en quantité 7 fois supérieure par combustion de biomasse que par combustion du charbon. Des rapports scientifiques émanant d’organisations indépendantes, voire de collectifs de scientifiques, prouveraient que les centrales biomasses de grande capacité vont a l’opposé des résultats recherchés, à savoir un moindre impact écologique. L’un de ces rapports aurait servi à la cour fédérale américaine pour annuler des lois mettant en place des subventions et des avantages fiscaux pour la production d’électricité à partir de la biomasse bois. Ce qui amène à questionner les politiques publiques mises en place en France pour favoriser l’émergence des énergies renouvelables, ou plutôt de certaines catégories d’entre elles.
Un document associatif de l’Adret Morvan, qui analyse toutes ces données, est disponible en cliquant ici.
A consulter également, ce très clair « digest pour le lecteur pressé » de Philippe Leturcq, ancien chercheur du CNRS.
Autre objection de taille, la récolte des rémanents n’est pas neutre et peut représenter une exportation d’éléments minéraux non négligeable du sol forestier. « Ne retenez que deux choses : l’arbre-énergie n’est pas renouvelable et l’utiliser exige une gestion raisonnée et très prudente du capital minéral des sols forestiers. » (Michel Bartoli, Forêts de France, Mars 2014).
A lire, un article très intéressant sur la récolte raisonnée des rémanents en forêt : remanents
Et puis, qui peut garantir que les vieilles forêts, devant ces nouvelles pressions sur la récolte, seront à l’abri de cette nouvelle manne?
Les installations dans le bassin de Lacq :
CHARMONT AQUITAINE ENERGIES –
L’entreprise devrait produire prochainement des granulés à partir de 144000 tonnes de bois par an, avec une volonté affichée d’ « exigences les plus strictes sur la protection de l’environnement » (voir le paragraphe s’y reportant sur le site de Charmont plantations).
Son directeur, Jean-Michel Sylvestre, a répondu à plusieurs de nos questions :
– l’entreprise ne possède pas de parcelles propres, elle passe des contrats avec l’ONF, des communes forestières, des propriétaires privés, coopératives et scieries.
– elle vise des forêts de montagne, mais principalement « la ressource en feuillus sous exploitée du piémont. »
– l’un des objectifs était au départ, de passer des contrats avec des agriculteurs privés pour valoriser des terrains de déprise agricole des Pyrénées-Atlantiques, et planter pour cela du robinier faux-acacia. Heureusement, cette solution est écartée pour l’instant, car » les consommateurs industriels de biomasse combustible ont préféré importer, plutôt que de stimuler des filières locales en cycle court. »
Nous ne cautionnons pas de toute évidence, le transport de bois sur des milliers de kms, venant d’exploitations hors de contrôle. Mais nous nous réjouissons que les écotones forestiers ne soient pas colonisés par l’acacia.
En voici les raisons :
Si le bois de l’acacia est imputrescible et a une bonne capacité calorique, sa forte capacité de drageonnage lui confère un caractère envahissant. Le robinier est présent en France depuis Henri IV et il n’a pas pour autant colonisé toutes nos forêts alors qu’il est installé le long de la plupart des voies de chemin de fer et dans les zones viticoles pour faire des piquets.
Mais une fois installé, il est très, très difficile voire impossible de s’en débarrasser sauf en limite de sa niche écologique. C’est un super compétiteur dans les écotones (zones de contact entre les formations végétales dites fermées comme les forêts et les milieux ouverts comme les clairières, où se situe le maximum de biodiversité). Il modifie très fortement les écosystèmes par son dynamisme et sa capacité à fixer l’azote atmosphérique. Quant à des plantations en forêt, elles peuvent très facilement prendre le dessus sur des régénérations naturelles d’espèces autochtones.
Selon Alexis Ducousso (président du groupe forêt de l’UICN, sylviculteur d’une propriété de 70 ha, doctorant en biologie et physiologie végétale option biologie et génétique des populations) :
« J’ai déjà détruit un peuplement de robinier pour installer un dispositif de chêne. Ce peuplement était en cours de colonisation d’une lande anciennement paturée. La colonisation venait d’un petit peuplement de robinier situé sur le flanc opposé du vallon. La destruction de ce peuplement fut très difficile et très cher. Voici le parcours technique qui a permis son élimination. D’abord, il y a eu un passage de bull pour arracher toutes les souches, andainage et brulage des souches. Cette première opération a été suivie par un labour profond, un passage de chisel pour faire remonter les racines, un premier ramassage manuel de racines, repassage d’une herse lourde et second ramassage des racines et enfin deux passages de round-up à 12l/ha les deux années suivantes. Nous avions testé des approches plus douces qui on été des échecs. C’est faisable et acceptable économiquement et socialement pour des surfaces de quelques hectares dédiées à l’expérimentation mais nous ne pouvons pas étendre de telles techniques. »
Prenons également le cas de la Hongrie : Le robinier a été massivement planté dans la vallée du Danube et sur la plaine de la Pannonie. Actuellement dans cette région, il a éliminé toutes autres essences autochtones. Il y a actuellement un débat en Hongrie entre les milieux environnementalistes qui veulent éradiquer cette espèce et une partie des forestiers qui veulent étendre encore l’espèce dans le reste de la Hongrie. En Pannonie et dans la vallée du Danube, il y a eu quelques tentatives pour éliminer le robinier, soldés par des échecs.
La recolonisation forestière du piémont n’intéresse pas vraiment l’entreprise, car elle contient beaucoup de matières vertes et d’épines, donc d’azote, avec risque de pollution aux oxydes d’azote (NOx). D’autre part, la proportion élevée de silice (qui se trouve dans l’écorce) empêche une bonne combustion. Par contre, le reboisement spontané des estives par des essences plus intéressantes représenterait un beau potentiel.
GDF SUEZ –
Le groupe s’implante également dans le bassin de Lacq : Annonce faite le 23 Juillet 2014 pour l’installation d’une nouvelle unité validée par les services de l’Etat compétents et sur recommandation positive de la DREAL.
Selon la réponse que nous a faite Léa Dujany, du service Communication, le plan d’approvisionnement représenterait « 160 000 tonnes de biomasse par an, dont 78% de plaquettes forestières collectées majoritairement dans le piémont pyrénéen (département 64 et 65), 5% de produits connexes de scieries, 17% de broyat de palettes dites de classe A . »
« La centrale consommera 160 000 tonnes de biomasse par an, dont une partie collectée en haute montagne, valorisant ainsi des gisements de biomasse peu ou mal exploités dans les Pyrénées. »
GDF Suez prétend également que 20 000 tonnes de bois seraient « collectées en haute montagne classée en zone défavorisée nationale bénéficiant de l’Indice Compensatoire des Handicaps Naturels (ICHN). »
Des forêts classées en zone défavorisée et bénéficiant d’une « indemnité compensatoire d’handicap naturel », en clair, des primes pour exploitation ?? A notre connaissance, ces mesures s’appliquent au domaine agricole mais aucune forêt française ne bénéficie de ce type de subvention.
Alors, souhaits ou affirmations? A l’heure où nous écrivons, GDF Suez n’a pas su nous répondre et nous renvoie au « plan d’approvisionnement disponible auprès de la Préfecture des Pyrénées Atlantiques et de la Préfecture de Région. » Autrement dit, nous demande si nous pouvons aller enquêter ailleurs.
Projet de centrale ariégeoise
En Ariège, le projet « bois énergie avenir » a vu le jour en 2015 à Saint Paul de Jarrat, avec comme associés la scierie Barbe et la famille Estèbe. La centrale de fabrication de granulés de bois aurait une production estimée à 21000 tonnes de granulés par an.
La production de bois-énergie peut être l’occasion d’une valorisation des sciures (qui est déja produite ici par l’activité de la scierie), des chutes de production et des bois en fin de vie non traités (palettes par exemple), pourquoi pas de la recolonisation forestière sur les milieux ouverts. Gageons qu’ici, l’entreprise saura, pour réaliser ses objectifs, travailler de manière éthique et responsable.
Toute information fondée est la bienvenue dans la case « commentaires ». Voir l’article
Et ailleurs en France …
La pétition suivante concerne l’installation d’une super-centrale de biomasse à Gardanne en Provence, nécessitant 855000 tonnes de bois par an (!)
Voir l’article et signer la pétition
Dans le Morvan, les efforts locaux pour empêcher l’installation de la société luxembourgeoise géante Erscia ont payé au Conseil d’Etat, même si son avenir n’est pas encore tranché. Voir l’article
En Rhône-Alpes, la FRAPNA dénonce depuis plusieurs années les projets de méga-centrales à cogénération biomasse qui vont à l’encontre d’une utilisation du bois, locale, durable et respectueuse des écosystèmes.
Les coupes rases semblent désormais se multiplier pour alimenter la centrale de Pierrelatte, parfois même dans les zones Natura 2000. Une autre grosse centrale est en projet sur Laveyron qui consommera 200 000 t de bois par an… D’autres projets plus gros encore sont prévus autour de ces équipements sur le quart sud-est de la France. Les consommations de bois cumulées de ces centrales ne tiennent aucun compte des potentialités de nos forêts. La FRAPNA Drôme lance l’alerte : http://www.frapna-drome.org/index.php/energies/megacentrales-biomasse
Ces quelques exemples montrent les enjeux auxquels sont actuellement exposées les forêts françaises et pyrénéennes.
Il est essentiel de veiller en amont à ce que ne soit pas développées ici de nouvelles formes de sylviculture intensive.
Chaque projet devrait être accompagné d’une approche territoriale réaliste et donc de taille modeste : les volumes de bois annoncés sont faramineux, d’autant que les entreprises doivent pouvoir fournir la demande, qu’il pleuve, vente ou neige dans les forêts exploitées (d’où l’importation).
L’ONF est garante de la gestion durable des forêts publiques en France. Son organisation interne est aujourd’hui mise à mal, elle doit pouvoir continuer à assumer ses missions principales et sociétales sur le terrain. Les propriétaires privés doivent recourir aux organismes de conseil comme le CRPF, avoir à l’esprit que leur forêt est aussi un milieu naturel où le sauvage a sa place.
Nous ne sommes pas opposés à l’utilisation de la ressource bois pour des granulés, mais sous certaines conditions :
L’emploi et la capture de CO2 oui, dans le cadre d’une gestion intelligente et respectueuse.
Pas au prix d’une dégradation sans précédents de notre environnement et de nos forêts.
Merci pour ces informations.
l’article ne mentionne pas un des graves dangers pour notre environnement que constitue l’utilisation massive du bois énergie : le réchauffement climatique. En effet le bois brûlé n’est pas neutre sur la concentration de CO2. La démonstration est faite par Philippe LETURQ (Forêt, bois, CO2 : mise en question des politiques de développement des usages énergétiques du bois, site de PROSYLVA). Un article est en préparation sur la Peau de l’Ours, journal syndical ONF Midi Py.
Livio TILATTI
Merci pour cette précision. Effectivement, suite à la parution de l’article, plusieurs commentaires sur ce même thème m’ont été envoyé, j’ai alors mis en ligne un paragraphe parlant de ces effets avec un document publié par l’Adret Morvan.